pythagore
En quittant la patrie ne tourne pas la tête.
Garde-la tournée vers le haut ! Derrière nous - des nostalgies, devant - des marches, autour - des courses, en profondeur - des faits, en hauteur - des rêves.

platon
La vie est un court exil.
Que la liberté allonge et le grégarisme adoucit. On ne connaît pas sa vraie patrie, celle qui vit la naissance de notre âme, mais on en garde une vague nostalgie. N'est dans sa patrie que l'anachorète, celui dont le corps et l'esprit ne quittent pas l'âme.

platon
La bousculade des âmes provoque leur chute sur un sol terreux, où elles s'incarnent en un corps.
Une bonne incarnation rédime la chute en acceptant la solitude de sa croix, où meurent, unis, et le corps et l'âme, dans une pureté prélapsaire.

platon
Homère réduit l'esprit du lecteur à l'état des ruines.
D'autres proposèrent des phalanges, casernes ou étables avec beaucoup plus de succès. Mais quelle demeure peut se transformer aussi facilement en château en Espagne que les ruines homériques ?

aristote
Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes.
Même à eux, un dialogue y est nécessaire : entre le soi connu, avide de reconnaissance, et le soi inconnu, inspirateur ou instigateur des connaissances ; l'admiration du bon Narcisse vise autrui.

aristote
Le solitaire est dieu ou démon.
Son inspiration, comme son acte, peuvent être ou divins ou diaboliques. « Celui qui est ravi d'être seul est une bête sauvage ou un dieu » - F.Bacon - « Whosoever is delighted in solitude is either a wild beast, or a god ». C'est le seul à imaginer sa tanière sur Olympe. Quand on est les deux, à la fois, on est philosophe (Nietzsche). « Celui qui sait vivre seul ne ressemble en rien à une bête sauvage, en beaucoup - au sage et en tout - à Dieu » - Gracián - «  Aquel que puede vivir solo, no se parece en nada a la bestia bruta, se parece mucho al sabio y se parece en todo a un dios ».

aristote
On n'est pas heureux, si l'on a un aspect disgracieux, si l'on est d'une basse extraction, si l'on vit seul.
Cette philosophie grégaire nous est présentée comme le summum de l'art ! En « vivant caché », je ne rougis plus de mes bosses ni de mes classes, dans un bonheur ou un malheur sans partage, dans les plus déserts lieux.

cicéron
Numquam se minus solum quam cum solus esset.

Je ne suis jamais moins seul que dans la solitude.
J'ai appris à parler à moi-même, une fois que j'ai appris à me taire dans la foule (leçon, donnée par Caton et Scipion l'Africain, et bien apprise par Byron). Tant de fantômes, venus du passé des autres et de ma propre enfance, seront mes interlocuteurs. La solitude ouvre à la dimension verticale, dans laquelle se logent tant d'images, d'élans et de mélodies, qui feront vibrer en moi ce qui restait muet, dans la multitude.

virgile
Numero deus impare gaudet.

Hécate aime le nombre impair.
Ce qui stigmatise la solitude, la Sainte Trinité, le travail de la main, le cycle hebdomadaire, les mille et une nuits. Et absout le couple, la Croix, le Peuple élu, l'octuple chemin du Bouddha, ses dix péchés et ses dix-huit enfers, les vingt-huit interprétations du Coran - « et pour cela préfère l'impair » !

sénèque
Sanabimur si modo separemur a coetu.

On guérit en fuyant la foule.
On guérit les petits maux, on aggrave les grands. On apprend dans la solitude, surtout, ce qui, en nous, est incurable, pour ne pas courir les remèdes et tirer bon profit des plaies.

marc aurèle
L'homme, qui a opté pour son génie, n'a besoin ni d'isolement ni d'affluence.
Savoir peupler le premier et se sentir seul dans la seconde est le seul et même don.

marc aurèle
Il est parfaitement possible d'être un homme divin et de n'être remarqué de personne.
Tout encourageante que cette sentence est pour les candidats à la divinité, il vaut mieux penser à sa propre vue, à ses propres toges, harangues et foudres, que je suis le seul à endosser, proférer ou entendre. Je sais bien, qu'on ne remarque, aujourd'hui, que des livrées, uniformes et beuglements.

plotin
Telle est la vie de l'homme divin : s'affranchir des choses d'ici-bas, s'y déplaire, fuir seul vers le Seul.
Être son propre exilé dispense de fuites ; l'horreur des routes m'interdit toute patrie, faite toujours de choses. L'évasion sur place, joyeuse, l'espace d'un matin, entre l'arrêt et le mouvement, serait-elle le troisième mode d'existence, après la nuit de l'être et l'ennui du devenir ? Fuir ensemble, en esprits ailés, peut aboutir aux choses de là-haut, où ne compte que le Verbe. (Platon : « Fuir, c'est s'assimiler à Dieu » - Dieu des routes, c'est toujours Hermès.)

pétrarque
Solo e pensoso, i più deserti campi vo misurando a passi tardi.

D'un pas incertain, seul et songeur, j'arpente les plus déserts lieux.
C'est mon songe qui arrête une vie certaine ; ce n'est plus la marche, qu'impriment mes pas, mais la danse. Tout lieu, vu d'une certaine hauteur et avec un certain vertige, devient désert pour mon âme, vivant des mirages mystérieux et non plus des routes problématiques.

pétrarque
Aliquem solitudine prohiberi.

La solitude n'est pas permise à tous.
Cette demeure risque d'être habitée par autre que moi et même de ressembler à l'étable si, à son entrée, je n'essuie pas bien mes semelles des traces de la multitude. En revanche, savoir être seul dans la multitude ne garantit pas, que je ne me démultiplie pas dans la solitude. C'est l'oubli et non pas le souvenir qui est le prix de la solitude.

jean de la croix
El que solo se quiere estar sin arrimo de maestro, será como el árbol solo, que por más fruta que tenga los violadores se la cogerán y no llegarán a sazón.

Celui qui veut demeurer seul sans appui d'un maître, est semblable à un arbre solitaire ; quelques fruits qu'il produise, les passants les cueilleront avant leur maturité.
Je suis le climat de mon arbre solitaire ; j'en assume les fleurs, la sève et les cimes ; le passant, qui n'en goûte ni racines ni ombres, mais grappille le fruit, n'a qu'à s'en prendre à lui-même pour son indigestion. Mes maîtres me firent fuir le verger et l'étable ; mon arbre leur doit son désert, ses mirages et sa ruine.

baïf j.-a.
Brebis trop apprivoisée de trop d'agneaux est tétée.
Les idées s'apprivoisent plus facilement que les mots. Périodiquement, il faut leur réapprendre la solitude, le désintéressement et le danger. On a intérêt d'ensauvager les idées en les lâchant, de temps à autre, dans la forêt des mots natifs, où elles gagneraient en hauteur. Plutarque disait, qu'ensauvager la vie la rendait plus profonde.

montaigne m.
Forger son âme et non pas peupler.
On peuple le vide, on le plénifie. Le trop plein, on le façonne.

montaigne m.
Ce n'est plus ce qu'il faut chercher, que le monde parle de vous, mais que vous parliez à vous-même.
Le factice du langage, qu'on tient aux autres, est si flagrant, que se parler, à soi-même, dans le même idiome, c'est parler une langue étrangère.

montaigne m.
Il y a moyen de faillir en solitude comme en compagnie.
L'indétermination de but, dans la solitude, neutralise tous les moyens. Le raté du désert garde ses mirages, le raté des foires perd jusqu'au sens des saisons.

montaigne m.
Il faut se prêter à autrui et se donner à soi.
Moins je donne, plus j'ai de dettes.

gracián b.
Es desgracia habitual en los ineptos la de engañarse al elegir profesión, al elegir amigos y al elegir casa.

Se tromper de métier, d'amis ou de maison est l'infortune ordinaire des sots.
Cet avertissement eut ses effets : tout gamin ne rêve désormais que de carrières commerciales, au milieu des copains, réfléchis et sédentaires. Projet, qui réussit toujours.

gracián b.
Antes loco con todos que cuerdo solo.

Mieux vaut être fou avec tous que sage tout seul.
Pourtant, ce n'est pas de la subtile folie, mais bien de la subtile sagesse.

pascal b.
Nous sommes pleins de choses, qui nous jettent au dehors.
Le dehors a assez de ressorts inverses pour nous rejeter dans notre vide, où nous nous blottirions, de plus belle, contre notre chaude déréliction (à l'opposé de la Geworfenheit de Heidegger, qui sent trop le Ent-wurf, projet, un élan vers l'extérieur).

pascal b.
Pour vivre seul, il faut être un ange ou une brute.
Volé chez Aristote. Je renonce aux ailes et aux rauques, me voilà attrapé par la multitude, rampante et glapissante. « La solitude exige une vie d'ange, elle fait périr les malhabiles » - Nil de Sora - « Уединение требует ангельского жития, а неискусных убивает ». Une fois les ailes pliées, l'ange, comme l'albatros, se rapproche dangereusement de la brute ; il est rattrapé par la routine ou par les fins, alors que n'est angélique que le commencement : « L'ange doit déployer ses ailes, pour que Dieu se remette aux obscures pages des commencements » - Rilke - « Nur wenn die Engel ihre Flügel breiten, als ginge Gott im dunklen Buch des Anbeginns ».

pascal b.
Le malheur : ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.
Le vrai malheur est de ne pas savoir y demeurer seul. Même les toits aujourd'hui ne servent qu'à interpeller les autres. Le repos est l'état rêvé des esprits ; les âmes appellent des tumultes.

angélus s.
Die Einsamkeit ist Not, doch sei nur nicht gemein,
So kannst du überall in einer Wüste sein.

La solitude est mal, mais ne sois pas grégaire,
Partout tu peux trouver un désert salutaire.
La vie se déplace, de plus en plus, vers la place publique. Les prophètes s'y mêlent aux marchands, les mirages s'y achètent. Comptes-tu sur tes grains de sable pour déranger ce rouage extérieur ou pour reconstituer ton désert intérieur ?

spinoza b.
Homo magis in civitate ubi ex communi decreto vivit quam in solitudine ubi sibi soli obtemperat, liber est.

L'homme est plus libre dans la Cité, où il vit d'après les lois communes, que dans la solitude, où il n'obéit qu'à lui-même.
Oui, la solitude, c'est de l'esclavage ; mais comme la liberté, qui peut être créatrice ou robotique, l'esclavage, lui aussi, peut se vivre dans la profondeur des contraintes horrifiantes ou dans la hauteur des passions vivifiantes. Il n'existent pas de passions libres.

voltaire f.-m.
Tout notre mal vient de ne pouvoir être seul.
Et le bien aussi ! Pour le mal, autrui est suffisant, mais pas nécessaire (on peut souffrir tout seul) ; pour le bien, il est nécessaire, mais pas suffisant (il faut, en plus, un juge). Tout seul, on ne fait que rêver le bien ; dans la multitude, on l'oublie, au nom de l'agir, qui mène tout droit au mal. Le contraire du vrai, qui n'est crédible que dans un dialogue ; le soliloque ne produit que du rêve, c'est à dire du mensonge.

rousseau j.-j.
L'enfer du méchant est d'être réduit à vivre seul avec lui-même, mais c'est le paradis de l'homme de bien.
Les deux vivent d'illusions, illusions de fausse franchise ou de vraie bêtise. Et si le bien et le mal n'étaient que des matériaux, dont on pave le chemin - travaux du purgatoire - dont peu compte la destination ? Le vrai solitaire aménage si bien son vide, qu'il résonne de tout regard, qui le parcourt ; le solitaire forcé laisse toute sonorité dehors, rentré chez lui, il est effrayé par tant de silence. Métamorphose chrétienne d'une métaphore païenne.

diderot d.
Il faut peut-être plus de force pour résister à la solitude qu'à la misère ; la misère avilit, la retraite déprave.
La misère rend envieux, et c'est l'envie qui avilit. La retraite pousse vers la méditation qui, comme le dit l'un de tes amis, déprave. L'état béat est antonyme à la fois de l'envie et de la méditation.

vauvenargues l.
La solitude est à l'esprit ce que la diète est au corps.
Elle abrutit, galvaude les appétits et dévalue les muscles. Elle fait tenir aux formes plus qu'au fond. Bonne amaigrisseuse de pensées repues, à doses exagérées, elle tue les sentiments affamés. La diète est la cause du rétablissement du corps ; la solitude est l'effet d'un esprit souffrant. Et la diète et la solitude aident à entendre les inquiétudes de l'âme, couvrant et les signaux alarmants du corps et les signes apaisants de l'esprit.

goethe j.-w.
Die Einsamkeit ist eine schöne Sache, wenn man mit sich selbst in Frieden lebt.

La solitude est délicieuse, quand tu vis en paix avec toi-même.
Les classiques ne comprirent jamais ni la solitude ni le soi inconnu. Au fond de moi-même surgissent tant d'appels, de sensations, d'interrogations, intraduisibles dans mes langages d'actes, d'images, d'idées, de théories, et cet échec, ou plutôt cette défaite, est le fait le plus fondamental de mon mûrissement. Pourtant, ce sont les voix les plus authentiques, irréfutables. Le romantisme commence par l'impossibilité d'une paix avec soi-même et par la découverte de la solitude absolue de son soi inconnu.

hamann j.g.
Meine Schwachheit geht so weit, daß ich alle meine Meinungen von sich selbst hinfallen fühle.

Ma faiblesse va si loin, que toutes mes convictions, aux yeux de mon âme, tombent tout seules.
Débarrassé de ce ballast, mon rêve aura d'autant plus de chances de garder sa hauteur. La vraie, la mystérieuse faiblesse résulte d'un sobre constat du gouffre entre mon rêve et ma réalité, faite d'images, de mots, d'idées. Respecter cette faiblesse, en découvrir les bienfaits est signe de noblesse. Les convictions, le plus souvent, sont des constats fallacieux d'une adéquation entre le ressenti et le dit.

chamfort n.
Dans la solitude, on pense aux choses, dans le monde on est forcé de penser aux hommes.
Et l'on arrive, respectivement, à l'humanisation-déification des choses inventées ou à la réification-robotisation de l'homme bien réel. Dans le monde il ne restera que des choses ; l'homme, inexistant et divin, peuplera la solitude.

chamfort n.
Dans le monde tout tend à me faire descendre, dans la solitude tout tend à me faire monter.
Mais en descendant je peux améliorer ma vision des hauteurs, vision du serpent, et en montant - me rappeler que je suis un proche parent du singe, et qu'on ne verrait peut-être pas exactement ce que j'aurai cherché à exhiber, dans le vertige de la liberté, puisque en hauteur je serai nu. « Comme un singe, plus tu montes, plus on voit ton derrière » - proverbe latin - « Exemplum de simia, quando plus ascendit, plus apparent posteriora eius ».

chamfort n.
Savoir dire non et savoir vivre seul, sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté et son caractère.
On l'apprit si bien, que la liberté devient jactance, et les caractères sont des clones. Le sage est plus disposé à dire oui et à ne pas vivre, une fois dans la multitude. Pour dire un oui monumental, on doit s'appuyer non pas sur le toi prochain, mais sur le nous lointain, contrairement à Éluard : « C'est à partir de toi que j'ai dit oui au monde ». Le oui doit être infini, contrairement au non : « La joie du Oui dans la tristesse du fini » - Ricœur. Encore que ce qui est fini pour les sens peut être infini pour le sens.

rivarol a.
Il suffit d'abandonner l'homme à lui-même pour le voir aussitôt en société. L'état solitaire est donc un état artificiel.
C'est dans un état inventé, hérissé d'appels à autrui, que j'ai le plus de chances de faire entendre ma vraie voix, la nôtre. Dans la multitude, le médiocre garde un peu d'originalité verbale ; mais une fois seul, il retrouve la grégarité mentale, plus profonde et authentique. Chez le sage, les effets sont inverses. Je suis seul par le timbre de ma voix, plutôt que par les coordonnées de mes voies.

joubert j.
Pour descendre en nous-mêmes il faut d'abord s'élever.
Pour s'élever, au contraire, il suffit souvent de s'abaisser jusqu'au niveau des mots qu'on foule. Malheureusement, on s'imagine, que l'élévation commence avec la hauteur des idées. Les idées n'ont pas de hauteur (ni, au demeurant, de volume). L'idée n'est qu'un lieu auquel Sa Majesté le Mot donne de la stature. On élève sa tour d'ivoire, sachant pertinemment, qu'elle terminera son parcours terrestre par des ruines célestes.

hölderlin f.
Was kümmert mich der Schiffbruch der Welt, ich weiß von nichts als meiner seligen Insel.

Je me fiche du naufrage du monde, je me réfugie dans le bonheur de mon île déserte.
Tu es amnésique : tu fus jeté par-dessus bord ou voulus te noyer, avant de te retrouver sur ces plages. Et le monde continue sa croisière, sans remarquer la moindre perte, le moindre appel au secours, le moindre drapeau blanc. Personne ne fut au courant de ton Apocalypse joyeuse.

hölderlin f.
Wer leicht sich mit der Welt entzweit, versöhnt sich auch leichter mit ihr.

Qui s'écarte facilement du monde, facilement se réconcilie avec lui.
Bien connaître mes différences rend l'unification plus vivante et riche. Mais si l'écart me pousse jusqu'à ma tour d'ivoire ou mes ruines, je suis perdu pour l'unification et sauvé pour la paix : personne ne viendra m'assiéger. Et mon soi connu, belliqueux au milieu de ses soucis terrestres, cherchera toute sa vie à se réconcilier avec mon soi inconnu, détourné du monde des forts et absorbé par la résignation des étoiles, en accord avec tout l'univers.

byron g.
In solitude, where we are least alone…

Jamais moins seul que dans la solitude…
Entouré des hommes, on se sent abandonné du ciel. Être seul, c'est être sans les oreilles d'autrui. La solitude, c'est l'absence d'yeux. On se voit sans yeux, on ne s'entend pas sans oreilles. Cicéron (« numquam se minus solum… »), Scipion… Volé chez Caton.

schopenhauer a.
Unser größtes Vergnügen besteht darin, bewundert zu werden ; so ist der Glücklichste der, welcher es dahin gebracht hat, sich selbst aufrichtig zu bewundern.

Le plaisir le plus fort est d'être admiré ; donc l'homme le plus heureux est celui qui est parvenu à s'admirer sincèrement.
Même si cette admiration est d'invention et non pas de sincérité, tout bon Narcisse se trouve ainsi en compagnie d'une beauté secrète, qu'il est le seul à posséder. Que le soi serve de souffle pour entretenir notre flamme ou d'aliment pour en préserver la pureté ; que les autres ne soient qu'excitants ou stimulants.

schopenhauer a.
In der Einsamkeit fühlt der Jämmerliche seine ganze Jämmerlichkeit, der große Geist seine ganze Größe, kurz : jeder sich, als was er ist.

Dans la solitude, le misérable vit sa misère, le grand esprit sa grandeur ; bref, chacun ce qu'il est.
Pour tout cela suffit la foire ! La vraie solitude commence, quand on perd toute mesure soi connu, sa misère égalant sa grandeur, et quand le soi inconnu t'écrase ou te soulève par ses mesures abyssales ou ailées.

schopenhauer a.
Wer die Einsamkeit nicht liebt, der liebt auch nicht die Freiheit.

Qui n'aime pas la solitude, n'aime pas la liberté non plus.
Je hais la solitude, j'exècre votre liberté, qui ne remarque que la force brute, la seule qui puisse faire aimer la solitude. Il faut mobiliser toutes les ressources de notre faiblesse, pour vivre de la soif, près d'une bonne fontaine. La soif assouvie, tous se lamentent de solitude, tout en se gobergeant dans leurs dîners en ville.

leopardi g.
La solitudine è come una lente d'ingrandimento : se stai bene - stai benissimo, se stai male - stai malissimo.

La solitude est un agrandissement : si ça va, ça ira encore mieux ; et si ça ne va pas, ça n'ira pas du tout.
À ma connaissance, c'est la multitude qui se charge de l'effet comparatif amplificateur : « La comparaison, c'est la fin du bonheur » - Kierkegaard. La solitude, c'est l'art du filtrage : elle nous apprend à ne vivre que du superlatif, ce qui est peut-être le seul bonheur authentique, puisque se fondant sur le rêve. Comme la hauteur, qui se donne non pas à une escalade persévérante de mes pieds, mais à une ascendance instantanée de mon âme.

leopardi g.
Veri misantropi non si trovano nella solitudine, ma nel mondo.

Les véritables misanthropes ne se trouvent pas dans le désert, ils sont dans le monde.
La misanthropie est affaire de type d'emploi ; dans le désert, on fait appel aux prophètes, dont la folie nous distrait ; une fois dans le monde, ces prophètes serviront de bouffons ou d'épouvantails, dont la raison nous ferait mépriser les cours, royaux ou basses.

hugo v.
La solitude trouble les cerveaux qu'elle n'illumine pas.
Entre mes quatre murs, l'éclairage de ma solitude est question d'ouvertures : la meilleure lumière vient du toit ouvert au ciel, que mon cerveau sait étoiler ; mais le cerveau pantelant se tourne vers les fenêtres, donnant dans la rue, à court d'illuminations.

hugo v.
Commencer à Foule et finir à Solitude est l'histoire de tous.
L'épisode Foule prit de telles proportions, exigea une telle ampleur et engagea une telle troupe, que la scène Solitude n'apparaît que lorsqu'on a déjà tiré le rideau.

hugo v.
Dans l'effrayant cachot des nuits, Satan est seul.
L'homme oublia les chutes, il n'est plus ni ange ni démon, mais paisible robot, dans le sympathique bureau des jours, peuplé d'une foule de ses semblables.

dostoïevsky f.
Люди забывают о великом и погрязают в мелком. В одиночестве не так : человек крепнет в самом себе, становясь готовым к великому.

Les hommes oublient ce qui est grand et s'adonnent au mesquin. Dans la solitude, c'est différent, l'homme se renforce en lui-même, prêt à affronter la grande action.
La part des mesquins est la même, chez les hommes du troupeau ou chez les solitaires. Ce n'est pas en visant la grande action qu'on sombre dans la solitude, mais en visant le haut rêve.

dostoïevsky f.
Одиночество и лень ласкают воображение.

Solitude et paresse - de la fantaisie les meilleures caresses.
Les foires et les actes endorment, sans bercer, réveillent - sans exciter. Le contraire des caresses. J'eus beau me débattre, pour être un peu moins seul, pour redresser un peu mes ruines, - personne ne vint prendre la place de mes caresses défaillantes.

musset a.
Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien, qui me reste au monde,
Est d'avoir quelquefois pleuré.
On ne peut comprendre cette bizarrerie larmoyante, que si l'on a connu une vraie solitude, quand le poids de tous les souvenirs se mesure sur une balance innée et partiale, avec une préférence donnée à l'aérien et au liquide. Quant à Dieu, Le prier est tout de même un mode de dialogue plus honnête que Lui répondre. Quand Dieu se met à parler, on est sûr, qu'un ventriloque traîne quelque part dans les parages.

poe e.
There is two-fold Silence - sea and shore -
Body and soul … his name's 'No More'.

Deux visages - mer, rivage - a le Silence -
'Jamais plus' est son nom - poids et balance.
'Plus' est pire, c'est du bavardage, poids sans balance, balance sans poids, mer sans houle, rivage sans rêveur. Laisse ton corps parler du poids, laisse ton âme inventer des balances. Pour les pessimistes, le drame est dans le 'jamais plus' ; pour les optimistes, la béatitude est dans le 'pas encore' ; pour les ironistes, le bonheur est dans le 'toujours là'.

baudelaire ch.
Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée.
Ta solitude s'anime de la danse des fantômes, cette même danse, qui te fait ignorer la morne marche des hommes. Qui sait baisser les yeux de l'esprit, saura élever le regard de son âme. Qui sait créer partout ses propres déserts, vivra de ses propres mirages.

emerson r.w.
To go into solitude, a man needs to retire as much from his chamber as from society.

Pour entrer en solitude, un homme doit se retirer tout autant de sa chambre que de la société.
Si la solitude n'était qu'une affaire de pas ou de lieux ! Elle commence, hélas, par le choix fatal d'une étoile, que ne rend plus proche aucun pas et qui m'isole, où que je sois. Sous les étoiles, la liberté est solitude et tristesse ; dans la rue, elle est la joie. Mais me trouver sans étoiles, c'est être dans un enfer profond, où « grondent les malheurs, dans des hauteurs sans étoiles » - Dante - « alti guai resonerano sanza stelle ».

emerson r.w.
It is easy to live after the world's opinion ; it is easy in solitude to live after your own.

Facile de vivre d'après l'opinion des autres ; ou, dans la solitude, de vivre d'après ta propre opinion.
Tu veux visiblement que, dans la multitude, je vive d'après la loi de solitaire. Mais c'est aussi bête que vivre sa solitude l'œil vissé sur l'avis des autres. La vie est ce qui se met à palpiter, avant que ne se forme le premier avis, peu importe de qui.

emerson r.w.
Every man alone is sincere. At the entrance of a second person, hypocrisy begins.

Tout homme seul est sincère ; l'hypocrisie commence à l'entrée du second.
Cette sincérité est la vraie hypo-crisie - l'état avant toute décision. Le second nous oblige à nous décider, et c'est ainsi que s'éploie la vraie sincérité, l'imposture du vide visant le mot vacant.

emerson r.w.
All people descend to meet.

Tous les êtres s'abaissent en se rencontrant.
C'est, curieusement, en voulant se voir qu'on s'abaisse. Mais en voulant se toucher on s'élève. La carence des yeux, la caresse des regards.

twain m.
Go to Heaven for the climate, Hell for the company.

Pour le climat - visitez le paradis, pour de la bonne compagnie - l'enfer.
Le paradis n'a pas de climat, il n'est qu'un paysage. Ne crée un climat que le purgatoire de la solitude, le seul endroit, où je puisse être en bonne compagnie.

nietzsche f.
Der Eine geht zum Nächsten, weil er sich sucht, und der Andre, weil er sich verlieren möchte.

Les uns vont vers le Prochain, parce qu'ils se cherchent. D'autres - parce qu'ils veulent se perdre.
Dans les deux cas, ils tombent sur eux-mêmes, attendu que me perdre, c'est revenir à moi et « je ne me trouve pas où je me cherche : et me trouve plus par rencontre que par l'inquisition de mon jugement » - Montaigne.

nietzsche f.
Ich habe Niemanden, der mit mir mein Nein und mein Ja gemein hätte.

Je n'ai personne qui partage mon non et mon oui.
Marie Stuart dit la même chose. Mais si le oui est grand par ce, à quoi il acquiesce, le non l'est par la non-noblesse et la petitesse de ce qu'il nie. Et l'on finit par ne plus vivre que du oui.

nietzsche f.
In der Einsamkeit frißt sich der Einsame selbst auf ; in der Vielsamkeit fressen ihn die vielen.

Dans la solitude tu te ronges le cœur ; dans la multitude, ce sont les autres qui te le rongent.
La solitude fait de moi un ouroboros, à l'appétit féroce ; dans la multitude je suis une marmotte, à l'indigestion humiliante. Le but de la vie étant d'arracher au silence quelques aveux, le hurlement est préférable à l'écœurement.

nietzsche f.
Jede unbedingte Verschiedenheit des Blickes verurteilt den mit ihr Behafteten zu den Frösten und Ängsten.

Toute différence de regard spontanée condamne son porteur à la solitude de l'angoisse.
Il ne s'agit que d'une différence de hauteur et non de profondeur ni de largeur.

nietzsche f.
Mein Herz erträgt den Schauder der einsamsten Einsamkeit nicht und zwingt mich zu reden, als ob ich Zwei wäre.

Mon cœur ne supporte pas le frisson de la plus solitaire des solitudes et m'oblige à parler, comme si j'étais deux.
D'où la tentation d'appeler ce soliloque - dialogue. Le connu, s'adressant à l'inconnu et s'en contaminant, - l'essor de l'art, à l'opposé de l'effort de la science. Le bienfait de la solitude, c'est son frisson profond, qui nous sauve de la chute vers la platitude et nous prépare à la rencontre avec la hauteur.

nietzsche f.
Philosophie ist das freiwillige Leben in Eis und Hochgebirge.

Philosopher, c'est choisir librement une vie sur les cimes glacées.
C'est la-haut que l'air est le plus pur, c'est là que se trouvent les commencements des grands flux et des grands commandements, c'est là que le troupeau est rare, comme l'est la nourriture terrestre, c'est là que le feu de l'âme s'entretient au contact de la glace de l'esprit.

nietzsche f.
Für den sehr Einsamen ist schon Lärm ein Trost.

Même le bruit est une consolation pour un grand solitaire.
Ton existence est faite de ton ouïe et de ton regard. Celle-là transmet à celui-ci le bruissement du monde que tu es sensé transformer en musique. La meilleure consolation – les retrouvailles avec la musique du rêve.

unamuno m.
Un Miserere, cantado en común por una muchedumbre azotada del Destino, vale tanto como una filosofía.

Un Miserere, chanté en chœur par une multitude fouettée du Destin, vaut autant qu'une philosophie.
La philosophie doit se vouer aux soupirs et aux chants solitaires ; les chœurs et les multitudes en éloignent ; elle commence par le fouet, que ta conscience t'administre ; l'éviction du destin est son outil. « La tragédie antique naît du destin ; la tragédie chrétienne - de la liberté » - Berdiaev - « Античная трагедия есть трагедия рока, христианская же трагедия есть трагедия свободы ».

rozanov v.
Когда я один - я полный, а когда со всеми - не полный. Одному мне всё-таки лучше.

Quand je suis seul - je suis plein ; quand je suis avec tous - je ne suis pas plein. Mieux vaut être seul.
La sensation de plénitude naît du plus grand vide, qui appelle à être rempli. Seuls, nous sommes vides, avec les autres - remplis de foutaises.

tchékhov a.
Если хочешь быть здоров и нормален, иди в стадо.

Si tu cherches la santé et la normalité, va dans le troupeau.
Aujourd'hui, toutes les routes y mènent, même celles qui portent les plaques de révolte, de connaissance de soi ou d'abnégation. Le seul moyen d'y échapper est de se réfugier dans ses propres ruines, sans voies d'accès ni de sortie.

suarès a.
La foule est la bête élémentaire dont l'instinct est partout, la pensée nulle part.
J'aurais défini ainsi l'aristocratie. La foule d'aujourd'hui est dans le pullulement des pensées et la honte des instincts. Les pensées réduisent en esclavage normatif, l'instinct parle de libertés rebelles. La pensée d'artiste ne quitte pas les environs des mots et son instinct est libre et nomade. L'instinct d'artiste est la pensée faite chair. La pensée de la foule est l'instinct gonflé, alambiqué.

suarès a.
Tout ce qu'on dit de soi est un poème.
Ce qui explique l'origine de l'extinction de la poésie : on ne parle plus que des autres ! Ou, peut-être, le courant de soi changea de lit, en évitant désormais l'âme et en n'irriguant que la cervelle. Ce censeur-interprète filtre tout sel poétique et ne livre aux soifs médiocres que des procès-verbaux insipides, à destination des misérables, qui connaissent leur soi numérique et ignorent leur soi onirique. Le soi inconnu – l'inspirateur de tout poème, même du poème du monde.

valéry p.
Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie.
Que la tragique Tsvétaeva est plus noble : « La solitude me rend hautaine – rester en permanence en haute société »*** - « Одиночество делает меня высокомерной - постоянное пребывание в высшем обществе » ! La bonne compagnie me maintient en droit chemin, ce sentier battu dans la platitude humaine. Dans la solitude, le sous-homme du souterrain ou le surhomme de la tour d'ivoire m'isoleront des hommes, en me dégageant de l'horizontalité. J'aimerai la trajectoire, vertigineuse ou honteuse, sans quitter mes ruines. « Garde-toi de mauvaise compagnie, mais si tu as choisi la solitude, tu ne te trouveras pas toujours dans la meilleure » - Schnitzler - « Hüte dich vor schlechter Gesellschaft, aber wenn du die Einsamkeit erwählst, befindest du dich nicht stets in der besten ».

churchill w.
Solitary trees, if they grow at all, grow strong.

L'arbre solitaire devient grand si, par chance, il parvient à grandir.
Sa hauteur, ce sera l'oasis dans un désert sans mirages, l'île déserte dans un océan sans naufrages, la connaissance dans un paradis sans ramages. L'arbre de création, l'arbre abstrait grandit par unification avec l'arbre de lecture ; ils se fécondent, c'est à dire ils deviennent concrets (de concrescere - grandir ensemble). La richesse, et non pas la force, d’un arbre seul est dans ses inconnues qu’il tend au monde fraternel.

hesse h.
Kein Baum sieht den andern, jeder ist allein.

L'arbre ignore des arbres, chacun est solitaire.
C'est ce qui me le rend plus proche que la forêt, mais c'est la forêt qui me fit aimer l'arbre, comme Sils-Maria fait chanter la montagne (et sa danse), et Gênes - la mer (et son regard). Celan, en traduisant, à Sils, la Jeune Parque, fait rencontrer ces deux-là - au ciel.

hesse h.
Wer sich der Welt nicht anpasst, ist immer nah sich zu finden.

Celui qui ne s'adapte pas au monde est toujours proche de se trouver.
Le risque de se perdre est le même en multitude comme en solitude. Mais se dire introuvable est peut-être une bonne attitude prophylactique.

blok a.
Одиночество, пока оно остаётся чувством, томит и нежит. А потом оно становится знанием, и тогда оно заставляет себя чернить.

La solitude, tant qu'elle reste un sentiment, est caresse et rêve. Ensuite, elle devient un savoir, qui te poussera à te désespérer.
Le savoir devenant sentiment, le désespoir – espérance, le connu – inconnaissable, le lourd facile – léger difficile, la pesanteur – grâce.

kraus k.
Die Welt ist ein Gefängnis, in dem Einzelhaft vorzuziehen ist.

Le monde est une prison, où il vaut mieux être seul dans sa cellule.
Car, en plus, le monde est un combat et un théâtre ; et l'azur grillagé se défend le mieux en monologue agonistique.

kraus k.
Phantasie hat ein Recht, im Schatten des Baumes zu schwelgen, aus dem sie einen Wald macht.

L'imagination a le droit de se griser à l'ombre de l'arbre, dont elle fait une forêt.
L'esprit introduit dans l'arbre - des inconnues, l'intellect unifie les arbres ainsi générés, l'âme y découvre la forêt, dont se grise l'imagination. C'est plus vivant que la poupée-gigogne, comme le voit Trismégiste : « L'âme est dans le corps, l'intellect - dans l'âme, le logos - dans l'intellect », puisque ce sont des hypostases différentes d'un même homme-climat, aux saisons différentes : le corps-caresse, l'intellect-esprit, le logos-âme.

ortega y grasset j.
Vivir es sentirse perdido.

Vivre, c'est se sentir perdu.
Et l'on se met à végéter, dès qu'on s'imagine s'être trouvé. Se perdre : soit à cause de l'immensité silencieuse, qui entoure le soi, soit à cause de l'encombrement de choses ou de valeurs.

pessõa f.
Être poète n'est pas une ambition que j'ai, c'est ma manière à moi d'être seul.
Le bien et la poésie, cette pudeur des solitaires, une fois exhibés en foires s'échangent contre toute prose indifférente ou impudique. « La solitude plaît aux Muses ; la cité est hostile aux poètes » - Pétrarque - « Solitudo placet Musis, urbs est inimica poëtis ».

pessõa f.
Faillite générale de tout à cause de tous !
Faillite générale de tous à cause de tout !
Tout au contraire, tout et tous triomphent partout ; c'est le seul qui s'effondre à cause de lui seul ; et il est le seul à continuer à voir dans sa ruine - une tour d'ivoire.

pessõa f.
L'aristocrate est un homme, qui ne saurait oublier, qu'il n'est jamais seul.
Mais ce n'est pas à un observateur qu'il songe, mais à un interlocuteur. Non pas pour adosser son geste, mais pour rehausser sa geste.

cocteau j.
La poésie est une solitude… et nous sommes des moines, qui échangent des silences.
Le mot poétique devint prière silencieuse depuis que d'autres ne communiquent qu'en litanies ou sermons. Mais attention : le silence tout seul, sans la prière, peut être forumique : « C'est en nous qu'il nous faut nous taire » - Aragon.

heidegger m.
Je seltener Denkende, je einsamer Dichtende.

Le penseur devient plus rare et le poète - plus seul.
Ils se sont plutôt multipliés, surtout grâce aux mariages arrangés avec des héritières du lucre et de l'actualité. On les cherchait, jadis, dans les mansardes et les tours d'ivoire, qu'ils quittèrent, pour s'installer dans des bureaux, où ils accumulent des vérités qui courent les rues. Les têtes terrestres succédèrent aux âmes célestes.

heidegger m.
Die Einsamkeit - die Ankunft einer anderen Wahrheit.

La solitude consiste dans l'arrivée d'une autre vérité.
Ton exil commence par l'intrusion d'une vérité naissante, qui te coupe de la chaleureuse communauté des certitudes prénatales.

tsvétaeva m.
Не обольщусь и языком
Родным…
Мне безразлично на каком
Непонимаемой быть встречным.

Et même l'idiome natal
ne sauverait pas la mise.
Dans le réel, m'est égal,
dans lequel passer, incomprise.
L'exil étant la liberté, l'incompris est toujours libre. De fausses proximités et de vraies rencontres sont dans les mots compris. De vraies proximités et de fausses rencontres sont dans les mots sentis. La lettre et l'esprit.

jünger e.
Null ist der wahre Gegen-Stand von Einem.

Le Zéro est le vrai antagoniste de l'Un.
On a tant d'antagonistes qu'il y a d'opérations socio-algébriques, auxquelles on se soumet. Pour l'addition-accumulation, l'antagoniste de l'Un est son alter ego, son reflet fidèle en négatif, depuis l'origine du Zéro. Pour la multiplication-traduction, c'est l'Un lui-même, indivisible. La bonne réputation du Zéro est due à son antagoniste-multiplicateur, l'infini, invitant à me départir de mon soi sui generis et à me réfugier dans le néant du Zéro, prometteur de l'infini et le fossoyeur de l'être.

saint exupéry
La termitière future m'épouvante. Et je hais leurs vertus de robots.
Que ta voix manque, aujourd'hui, où le troupeau n'épouvante plus, mais ennuie, où la justice robotique n'éveille plus la haine, mais seulement le dégoût ! La brebis galeuse de nos temps moutonniers, c'est l'arbre. L'arbre ne subit plus le diktat de la forêt ; mais la sève mécanique charrie les soucis de termites, à travers son épiderme, et non plus à travers son âme, c'est à dire son climat. Son immobilité s'enracine en profondeur, il se déracine en altitude. Et tout le reste est de la croissance, c'est à dire de la platitude.

sartre j.-p.
L'enfer, c'est les Autres.
Qui se cachent dans ma propre voix et que je démasque, confus, désarçonné, écœuré. Surtout, s'« il n'est permis à personne de dire : je suis moi » ! D'où l'intérêt du purgatoire de l'ironie. Qui dit, que je ne suis pas meilleur que les Autres. L'enfer d'aujourd'hui, c'est l'enfer du Même (Baudrillard). L'enfer homérique : « au-delà du Peuple des Songes, ce circuit astral, conduisant à la vraie vie », traite les autres de - « génération, à travers laquelle passe l'errance de l'âme », pour nourrir nos songes. « Qu'aimes-tu dans les autres ? Mes espérances »* - Nietzsche - « Was liebst du an Anderen ? Meine Hoffnungen ».

char r.
La faveur des étoiles est de nous inviter à parler, de nous montrer, que nous ne sommes pas seuls, que l'aurore a un toit, et mon feu - tes deux mains.
Ce qui fait aboutir la vie à un beau livre, écrit sous un toit étoilé et caressé par la main, qui bénît ta plume. Où trouver ce feu et ce toit ? Si c'est mon étoile qui les guide, ils ne peuvent se trouver qu'au fond de mes ruines vespérales.

weil s.
Il faut être dans un désert, car celui, qu'il faut aimer, est absent.
C'est l'amour qui crée le désert. Se réfugier dans un désert sans amour, c'est subir le prurit des caravanes ou la sédentarité des oasis.

lec s.
Le plus horrible, c'est d'être solitaire en son for intérieur.
Le comble de la solitude : ne pas savoir bâtir un dialogue. Ne pas entendre de voix derrière des requêtes étranges. Ne plus savoir placer des inconnues dans mes propres interrogations. Ne plus savoir interpréter mes propres ordres, aux destinataires inaccessibles. Prendre mes soliloques pour du texte en format libre, sans contraintes divines.

cioran é.
La force d'un être réside dans son incapacité de savoir à quel point il est seul.
Les vraies affres de la faiblesse sont donc dans cette lucidité, qui t'empêche de t'agiter et d'agir. Et si le mal résidait exactement dans le sacrifice rituel à cette force ? Et le bien - dans la discrète fidélité à cette faiblesse ? La faiblesse serait, hélas, le seul moyen qu'ait le solitaire pour préserver sa hauteur, puisque « dans la solitude, le plus fort s'effondre »** - Nietzsche - « der Stärkste geht an der Einsamkeit zugrunde ».

camus a.
Se déclarer innocent, hardiesse toujours impossible à l'homme seul.
Et c'est la définition même du troupeau : une vaste et bêlante innocence émanant d'une rumination, sereine, cadencée et franche. Et Publilius n'y comprit rien : « Si tu veux vivre en innocent, tu vas tout droit vers la solitude » - « Solitudinem quaerat, qui vult cum innocentibus vivere » - c'est sur le banc des accusés, bricolé par ma conscience, que je l'acquiers plus sûrement.

paz o.
El hombre, inventor de ideas y de artefactos, creador de poemas y de leyes, es un incesante creador de ruinas.

L'homme d'idées et de machines, auteur de poèmes et de lois, est un inlassable créateur de ruines.
Où, enfin, ne l'encombreront ni lois ni machines ni idées. Et où le poème lui offrira un toit, pour admirer les étoiles. Et que le créateur de ruines, à partir de n'importe quelle demeure, chaumière ou château, m'est plus cher que celui que « le Seigneur nourrira dans le désert et appellera le restaurateur des demeures en ruines » - la Bible - la paix restaurée ou l'inquiétude des ruines, pour les touristes ou pour les ironistes.

paz o.
Entre mis ruinas me levanto, solo, desnudo, despojado.

Seul, nu, dépouillé - j'aspire à la hauteur au milieu de mes ruines.
Le volume de solitude, de honte et de misère est le même, pour tous les hommes ; seules les ruines me débarrassent d'étendue, de largeur et même de profondeur, pour me vouer à la hauteur, plus fière que les châteaux en Espagne. Mais j'ai besoin d'une demeure de mon être : choisis entre les ruines et le désert et découvre qui entretiendrait mieux tes soifs.

paz o.
La soledad es el fondo último de la condición humana.

La solitude est le fond profond de la condition humaine.
Tout ce qui est vécu profondément, même la solitude, finit par végéter à la surface. Le seul moyen d'y échapper est de rêver, même de la communauté universelle, - en hauteur. La condition humaine évolue : au poète succéda le mouton, le robot s'apprête à prendre sa place.

celan p.
Die Sprache schlägt nicht nur die Brücken in die Welt, sondern auch in die Einsamkeit.

Le langage jette des ponts non seulement vers le monde, mais aussi dans la solitude.
L'attirance des cieux me fait oublier l'appel de l'autre rive ; j'attends l'onde ou le rayon, et me fais engloutir par les ténèbres et la sécheresse. Le mot, qui a la prétention d'être un Verbe, salutaire pour tout le monde, finiras dans des sueurs froides. Du mot solitaire bien enterré ressuscitera sa chaude musique.

deleuze g.
Le naufragé est le fruit le plus précieux de l'île déserte.
Comme le châtelain mûrit au milieu des ruines bien dessinées et maîtrisées. « Faites une île de vous-mêmes » - Bouddha - en commençant par reconnaître, que ton séjour y est dû à un naufrage.

derrida j.
J'appelle l'avant-premier pas le désert dans le désert.
Il faut avoir cru au révélé dans le désert pour oser placer, dans le désert au carré, le révélable. Dans mes abîmes de solitude, la nuit du premier pas me suffit ; je ne recule plus, pour garder le scintillement des étoiles, qui me promettent la nuit de la nuit, l'exil dans l'exil - du dernier pas. La solitude me détache de la marche, me mets face au degré zéro du visible et à l'infini de l'invisible, les deux - inentamés. Et, grâce au culte des commencements, elle a la vertu de nous conserver neufs.

debray r.
L'exil et la prison portent à la poésie. Parce qu'on veut rentrer, chez un chez-soi perdu.
Ce soi inconnu ne nous quitte jamais, mais, bercés par notre soi connu, libres mais sans racines, nous perdons notre rêve poétique au profit de notre réalité prosaïque. La poésie est la patrie de tous les exilés : de pays, de sentiment ou de regard.