Wittgenstein L.
 
 
 

action
La féerie du monde se brouille par ma bougeotte ; c'est dans mon immobilité que cette féerie se dévoile, car les couleurs, comme les sons, naissent en nous ; de moi dépend si le monde est tableau symphonique ou bien grisaille silencieuse. « Donateur de sens, le regard humain valorise le monde » - Wittgenstein - « Der menschliche Blick hat es an sich, daß er der Welt einen Wert zuerkennen kann ». Mais tant que nos bras et pieds sont en action, nos meilleures palettes et cordes sont hors d'usage. L'immobilité tonifiante est le seul problème. L'homme de foi et, en particulier, l'artiste, agit en moi, dès que je m'immobilise.
art,auteur,création,danse,immobilité,jeu,musique,réalité,regard,silence,…

action
Le contraire de ce qui arrive (à partir des choses - Wittgenstein et Derrida) est ce qui jaillit (à partir du sujet). L'inconscient, mystérieux et servile, ou le sujet en possession de son soi. Le malheur du premier est la proximité des choses ; le malheur du second est l'oubli du mystère, la fusion avec les problèmes.
maîtrise,mystère,philosophie,proximité,soi

art
L'art n'est pas l'expression de ce qui aurait existé sous une forme non-artistique ; les creux et présomptueux voient dans leur œuvre un sommet et s'y attachent, corps et âme ; les profonds, les hautains et les humbles en éprouvent presque une honte, puisque tout ce qui est exprimé ou fixe est si dérisoire, si aléatoire, une fois comparé avec le monumental inexprimable, qui nous pousse vers les plumes et pinceaux. « L'inexprimable se loge, inexprimablement, dans l'exprimé »** - Wittgenstein - « Das Unaussprechliche ist unaussprechlich in dem Ausgesprochenen enthalten ».
acquiescement,hauteur,inconnu,mot,style

art
Trois niveaux dans mes exercices littéraires : la parole, l'image, la musique – dire, montrer, chanter. « Nous devrions moins parler et peindre davantage » - Goethe - « Wir sollten weniger sprechen und mehr zeichnen ». Si tu chantes devant Dieu, ne te montre pas ; si tu te montres, ne dis rien aux autres. Le se taire wittgensteinien est au bout de cette exigence. Mais la chute finale est de descendre du silence même – vers l'action. Puisque, aujourd'hui, « l'action a le mot ; si tu as quelque chose à dire – montre-toi et tais-toi ! » - K.Kraus - « die Tat hat das Wort ; wer etwas zu sagen hat, trete vor und schweige ! » - le premier pas, quoique vague, vers la musique.
action,danse,dieu,mot,musique,silence

art
On lit leurs Traités, estampillés par la Logique et non visités par la poésie, et à la fin on apprend, que « Il n'est permis de philosopher que poétiquement » - Wittgenstein - « Philosophie dürfte man eigentlich nur dichten ».
philosophie,poésie,science

sartre j.-p.
Écrire, ce fut longtemps demander à la Mort d'arracher ma vie au hasard.
art
En se détournant du hasard, on se retrouve fatalement en tête-à-tête avec l'algorithme (le hasard, c'est tout ce qui n'entre pas dans un système logique fermé - Wittgenstein). Et s'arracher à celui-ci est une autre paire de manches. L'attitude de poète grisé : se laisser pénétrer par l'insondable algorithme divin pour faire chanter ton hasard humain. L'attitude de sobre scientifique : modéliser le hasard, par une théorie des probabilités, et en faire un savoir de plus, le savoir du non-savoir.
création,danse,école,jeu,mort,raison,robot,savoir,science,système,…

bien
Quant aux perspectives d'application du Bien, le constat central, amer et navrant, c'est : l'éthique s'arrête au « tu dois ! ». Aucun verbe à l'infinitif (agir, faire, créer), aucun complément d'objet ou de manière (ton prochain, le monde, toi-même, l'intensité) ne peuvent s'y joindre, sans que tout l'arbre éthique ne s'écroule. D'ailleurs, ce serait l'interprétation la plus plausible du silence wittgensteinien.
action,création,intensité,nature,silence,soi,valoir

bien
Il n'existe ni vérité absolue, ni liberté absolue, ni beauté absolue ; il n'existe que le Bien absolu, puisqu'il n'est traduisible dans aucun autre langage que celui de notre cœur, avec sa muette et irréfutable éloquence. Mais tout ce qui est beau est bon : « Ce qu'on dit sur 'beau' s'applique à 'bon' » - Wittgenstein - « What has been said of 'beautiful' will apply to 'good' ».
action,beauté,cœur,inconnu,langue,liberté,vérité

bien
Pour atteindre le vrai, l'homme de science s'appuie sur les règles ; pour proclamer le beau, l'homme de goût érige des postulats ; mais pour adhérer au bon et passer à l'action, l'homme de cœur ne peut suivre aucune prescription. « Il ne peut pas y avoir de règles d'éthique » - Wittgenstein - « Es kann keine Sätze der Ethik geben ». Et l'adage chrétien - nul n'est bon - signifie, tout simplement, que nul ne peut faire le bien. On ne peut que le porter et en témoigner, les bras tombés.
action,beauté,christianisme,cœur,goût,science,vérité

wittgenstein l.
Was gut ist, ist auch göttlich.

Ce qui est bon, est aussi divin.
bien
Que Dieu ait mis en nous des organes transcendantaux, pour sonder le beau, le bon et le vrai, est la seule trace de son (in-)existence.
beauté,dieu,être,religion,vérité

wittgenstein l.
Das Gute liegt außerhalb des Tatsachenraums.

Le Bien se situe en dehors de la sphère des faits.
bien
Ses circonférences sont peut-être partout, mais son centre, le seul lieu, où il est indubitable, se situe dans notre cœur, sans aucune transmission crédible vers les bras.
action,cœur,inconnu

doute
Dans l'exposé de ce qui est connu, tous les hommes atteignent des statures comparables ; c'est dans le style de nos attouchements de l'inconnaissable, que notre vraie valeur s'affirme. Et Wittgenstein : « Moins tu te connais et te comprends, moins grand tu es » - « The less somebody knows & understands himself the less great he is », n'y est bête qu'au second degré.
balance,inconnu,grandeur,intelligence,savoir,soi,style,valoir

doute
La clarté est possible et souhaitable là où la langue et le sentiment humain peuvent ou doivent être occultés, - dans la science ou dans la technique, par exemple. Rendre claires les propositions (Wittgenstein) n'est pas une tâche philosophique ; la philosophie ne peut s'exercer que dans la réflexion sur les mystères du langage ou de la souffrance humaine. Réfléchir sur le monde, celui des phénomènes ou des noumènes, est une tâche, où le regard philosophique n'est plus d'aucun poids.
intelligence,langue,mystère,nature,philosophie,science,sentiment,souffrance

doute
Le seul moyen, pour évoquer le réel, est de faire appel aux modèles, c'est à dire aux métaphores, c'est à dire à la musique. Certains accords, à coups de répétitions, deviennent si familiers, qu'on prétend dire le réel, comme si nos mélodies en étaient des copies. Mais le réel est plein de choses indicibles qu'on ne peut que chanter, mais pour cela il faut les taire (Wittgenstein) ! « Là où faillit le mot, viendra un langage plus éloquent - la musique » - Tchaïkovsky - « Там где слова бессильны, является более красноречивый язык - музыка ».
inconnu,métaphore,mot,musique,réalité,représentation

doute
Qu'est-ce qu'être un mystique ? - être un Ouvert, savoir imaginer un processus infini, qui me mette, virtuellement, à mes frontières, savoir les montrer, sans les toucher ni les dire : « Le sentiment des frontières du monde, voilà ce qui est mystique »* - Wittgenstein - « Das Gefühl der Welt als begrenztes Ganzes ist das mystische ». Le contraire d'un mystique est un Fermé : l'un robotisé ou le multiple moutonnier – un sérail sans mystère.
frontière,inconnu,mystère,négation,ouvert

doute
En aucun cas le processus ne peut être équivalent au résultat (Wittgenstein) : le premier se résume dans une structure temporelle, et le second – dans une structure (arbre, graphe) spatiale. La notion d'infini, par exemple, n'est pensable qu'en tant qu'un processus, et celle de fait ne s'inscrit que dans un résultat.
arbre,inconnu,temps

doute
Depuis Spinoza, le mode géométrique fut essayé soit pour s'amuser avec son intelligence (Wittgenstein), soit pour amuser les autres avec sa bêtise, par exemple : « J'entends par littérature, non un corps ou une suite d'œuvres, mais le graphe des traces » - Barthes - elle n'est non plus ni groupe commutatif ni anneau associatif ni idéal distributif. Au lieu d'énoncer des inepties en analyse discrète, tu aurais dû exercer tes douteuses lumières en synthèses concrètes. Cette définition me rappelle une autre intrusion ébahissante, non pas dans l'algèbre, cette fois, mais dans la théorie des ensembles, d'un ontologue déchaîné : « L'ensemble vide est le nom propre de l'être en tant qu'être » - le nom commun de cet être en tant que néant (un jargon que partagent Hegel et Sartre) étant - l'ânerie, dont se moquent les logiciens et les mathématiciens.
être,intelligence,ironie,ombre,système

doute
Toute mystique commence par la reconnaissance de certaines de mes limites, qui ne m'appartiennent pas, la reconnaissance donc, que je suis un Ouvert (Wittgenstein ne dit pas autre chose). La mystique s'achève en donnant un sens ou une forme à cette belle et injustifiable convergence.
beauté,inconnu,mystère,ouvert,style

doute
Le non-sens est réservé aux jugements ; dans les choses et dans les images, ce qui s'oppose au sens ou le complète, c'est la musique. C'est ainsi que je corrigerais la vision wittgensteinienne de la tâche du philosophe : « Passer d'un non-sens inévident à un non-sens évident » - « Von einem nicht offenkundigen Unsinn zu einem offenkundigen übergehen » - du bruit du monde extraire sa musique.
musique,nature,philosophie

doute
Le doute fécond est soit purement langagier - inventer de nouvelles requêtes, soit purement conceptuel - modifier un modèle. Puisque nous ne savons de la réalité que ce que nos modèles réussis nous apprirent, tout le radotage sur l'indubitabilité de l'existence est sottise. Le savoir des choses et le savoir sur les choses sont la même chose (que Wittgenstein m'excuse…) ; la traduction du cogito n'est plus : de connaissances à l'être (la verticalité de la pensée, fondant l'horizontalité de l'existence), mais connaître, c'est être (puisque l'horizontalité, pour ne pas dire platitude, les résume, désormais, tous les deux) ; connaître, sur un mode non-géométrique, c'est créer le modèle, l'habiller par un langage, formuler des hypothèses, les interpréter, donner un sens aux résultats.
création,défaite,être,hauteur,idée,interprétation,langue,platitude,question,raison,…

doute
L'œil et l'oreille maîtrisent l'image et le bruit, avant que la première lumière ou le premier son ne les atteignent ; de même, la logique est parfaitement opératoire, avant qu'une représentation lui soit soumise. Wittgenstein : « La logique précède le comment et non le quoi » - « Die Logik ist vor dem Wie, nicht vor dem Was » - ne va pas assez loin. Le pourquoi, le au nom de quoi, est aussi pris en compte par la logique, avant que le désir du qui soit connu. L'emploi de la logique est subordonné au qui, puisque celui-ci dispose de son propre quoi. De même le sens, qui est le à quoi bon.
maîtrise,regard,représentation,science

doute
Deux types de répartition d'ombres et de lumières, qui me sont également étrangères : la lourde noirceur à la Schopenhauer, avec ses lamentations sur l'absurdité et l'absence de sens, et la lumière grisâtre à la Hegel, avec sa soporifique et logorrhéique ontologie (ces deux compères sont, pourtant, portés aux nues par, respectivement, Wittgenstein et Marx). L'harmonie désirable est une projection d'ombres vers la hauteur, une fois que je suis pénétré par la lumière, qui se cache dans les profondeurs ; l'arc en ciel étant constitué d'enthousiasme, de honte et de noblesse, et les éclairs de l'esprit naissant dans les ténèbres.
absurde,auteur,enthousiasme,hauteur,honte,mélancolie,noblesse,ombre

doute
On est un mystique complet, si l’on voit dans le monde un triple mystère : qu’il soit, comment est-il ? pourquoi est-il ? - la vérité, la vie, le chemin. Curieusement, le Christ, proclamant être tout cela, incarne ce mysticisme ! Wittgenstein, lui, n’est mystique qu’au petit tiers : « Ce n’est pas comment est le monde, qui est la mystique, mais qu’il soit » - « Nicht wie die Welt ist, ist das Mystische, sondern daß sie ist ».
chemin,christianisme,mystère,nature,vérité,vie

wittgenstein l.
In jedem ernsten Problem reicht die Unsicherheit bis in die Wurzeln hinab.

Dans chaque problème sérieux, l'incertitude descend jusqu'aux racines.
doute
Ce qui autorise le médiocre à divaguer dans des ramages, le pragmatique - à ne voir que le souci du fruit, le poète - à s'abandonner aux fleurs, et le philosophe - à reconstituer l'arbre tout entier.
arbre,art,philosophie,platitude,poésie,utilité

hommes
Le désintérêt pour les commencements, l'incapacité de les réinventer, l'obsession par la routine de l'intermédiaire ou par la prose des finalités calculables. « Il est si difficile de trouver le commencement. Ou mieux : il est difficile de commencer au commencement »** - Wittgenstein - « It is so difficult to find the beginning. Or better : it is difficult to begin at the beginning » - ce n'est pas une question d'effort mais de goût, de talent et d'intelligence : « Fais cortège à tes sources » - R.Char.
commencement,goût,intelligence,modernité,robot

hommes
Avec mon potentiel de transfuge vers patries éphémères et de renégat de causes gagnantes, j'aurais dû naître Britannique ; aucun autre pays ne dispose d'autant d'exilés intérieurs : Shakespeare - Romain, Byron - Allemand, Lawrence d'Arabie - Oriental, Wilde - Français, Philby-Wittgenstein - Russes.
allemagne,angleterre,auteur,défaite,exil,france,russie

hommes
Les hommes interdits d'accès au mystère de la vie sont réduits au monde binaire : « L'homme remarque, que le problème de la vie est résolu, lorsqu'il a disparu » - Wittgenstein - « Die Lösung des Problems des Lebens merkt man am Verschwinden dieses Problems » - les uns vivront du silence du questionnement, d'autres - du vide mécanique de la solution, d'autres, enfin, - du vide béni et musical du mystère retrouvé.
mystère,silence,vie

hommes
Deux issues, pour que les problèmes de la vie ne me paralysent plus : m'incruster dans les cadences d'une nouvelle solution, me laisser soulever par un nouveau mystère musical : « Peut-on vivre en sorte, que la vie cesse d'être problématique ? » - Wittgenstein - « Kann man so leben, daß das Leben aufhört, problematisch zu sein ? » - l'inertie d'une paix des bras ou le frisson des ailes.
angoisse,continuité,musique,mystère,sentiment,vie

hommes
L'utilitaire, au détriment de l'imaginaire, cette dérive peut frapper même les artistes eux-mêmes. Les mêmes sentiments troubles furent à l'origine des boutades platoniciennes contre Homère ou des grognes tolstoïennes contre Shakespeare (Goethe et Nietzsche, deux autres de ses frères, subirent les mêmes foudres – qui aime bien punit bien) : « Une paire de bottes vaut mieux que tout Shakespeare » - Tolstoï - « Пара сапогов ценней всего Шекспира ». Soit on y voit l'ennoblissement du bottier, soit l'un des plausibles ressorts de la plume shakespearienne, la honte. Les besoins des pieds seraient-ils plus vitaux que ceux des narines : « J'ai essayé de lire Shakespeare, et je l'ai trouvé si niais, que j'en ai eu la nausée » - Darwin - « I tried to read Shakespeare, and found it so dull that it nauseated me » - et Wittgenstein fut aussi intraitable, face à l'immoralisme shakespearien.
art,honte,intelligence,ironie,utilité

hommes
Il arrive, que ce qui ne mérite pas un mot, gagne à être mis en notes. Mais la misère d'aujourd'hui fait que ce qui vaut d'être chanté, n'est même pas dit. Mais chanter ce qu'on n'arrive pas à dire, c'est suivre la sage allusion de Wittgenstein. Ne pas développer des accords heureux, c'est pratiquer le chant du cygne, ignoré des hommes : « Les cygnes chantent avant de mourir ; ah, si certains hommes mouraient avant de chanter ! » - Coleridge - « Swans sing before they die, should certain persons die before they sing ».
danse,mort,mot,musique

hommes
La culture, c'est la lucidité de la vision des enjeux ; la civilisation, c'est la discipline du suivi des règles ; Wittgenstein, en voyant dans la culture un fanatique tenant à l'Observance (Ordensregel - règle monastique), les confond.
jeu,ordre

wittgenstein l.
The world becomes broad and flat and loses all depth.

Le monde devient étendu et plan, et perd toute profondeur.
hommes
La profondeur est, depuis bien longtemps, alliée de la platitude ; c'est l'existence même de la hauteur qui échappe aux yeux de l'esprit, accaparés par des choses trop pesantes. La hauteur n'est perçue que par le regard de l'âme, cette pauvre âme qui, réduite aux dimensions hostiles, expira.
âme,axe,esprit,hauteur,nature,platitude,regard

intelligence
Deux cas qui m'intriguent : Wittgenstein et Valéry. Tous les deux ne connaissent rien ni en linguistique ni en logique ; mais dans leurs avis respectifs la-dessus, le premier est complètement niais et le second – exceptionnellement brillant. Le premier est homme subtil et penseur nul ; le second est penseur subtil et homme nul.
esprit,langue,science

intelligence
La logique fait partie de la langue naturelle comme la philosophie fait partie de la poésie. Et la rigueur logique apporte à la philosophie la même chose que la grammaire à la poésie, c'est-à-dire rien. Il n'y a pas moins de logique chez Cioran que chez Wittgenstein. Les perles syllogistiques ou grammaticales ne séduisent que des mollusques des profondeurs sans vie.
hauteur,langue,maxime,poésie,philosophie,platitude,poésie,raison,vie

intelligence
Si, à gauche et à droite de l'opérateur indo-européen être, se trouvent deux références respectives d'objets, et si la proposition associée s'évalue à vrai, on arrive, par unification d'arbres, à cette misérable identité, qui donnait tant de mal et faisait plisser tant de fronts, à commencer par celui de Wittgenstein (« l'identité est le diable en personne, et la négation - l'enfer » - « die Identität ist der Teufel selbst und die Verneinung die Hölle »). C'est la portée des quantificateurs existentiels qui pose problème, mais c'est une tâche de représentation et non pas de logique. L'ahurissement des philosophes, face à l'existence ou à l'identité, à commencer par Wittgenstein lui-même, s'explique par leur incapacité de distinguer entre trois domaines, où ces notions ont un sens : la réalité, la représentation, la logique.
arbre,concept,être,europe,langue,négation,réalité,représentation,science

intelligence
Valéry se moque de la non-définition des abstractions initiales chez les philosophes, qui pratiquent « l'art d'arranger les mots indéfinissables en combinaisons agréables ». Pourtant, la philosophie est de la poésie, où une grande part du charme réside justement dans le vague des premiers et derniers pas. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les «définitions» des plus acharnés adeptes de la rigueur - Spinoza, Hegel, Wittgenstein - pour s'assurer, qu'ils ne quittent jamais la région réservée aux élucubrations poétiques (rien d'étonnant qu'ils s'interrogent en professeurs marmoréens et répondent en poètes balbutiants). Pour discourir en paix, ils ne s'aventurent guère avec les définitions. La philosophie de la rigueur existe bien, mais elle fut exhaustivement épuisée par Aristote et Kant.
art,commencement,école,esprit,inconnu,ironie,philosophie,poésie,question

intelligence
Les philosophes reproduisent très précisément les écoles picturales - du réalisme socialiste à l’abstraction holiste, de la nature-morte à l’hagiographie, des scènes de batailles à la dissection de cadavres. Toute élocution se réduit à la musique et à la peinture, même si l’on y perçoit plutôt du bruit et du gribouillage. Pour exclure le peindre du parler, il faut être dogmatique et têtu comme Wittgenstein ou Heidegger, et supposer qu’il puisse y avoir des idées sans métaphores.
art,idée,métaphore,musique,philosophie

intelligence
L'épreuve par l'étendue de la chose même - la monstration, par la profondeur du concept - la démonstration, par la hauteur du regard - la métaphore. En se mesurant à l'ennui, à la routine, au langage. Wittgenstein : « Ce que représente le solipsisme, ne peut pas se dire, mais se montrer » - « Was der Solipsismus meint, läßt sich nicht sagen, sondern es zeigt sich » - oublie le troisième terme de l'alternative, le verbe peindre (et qui s'inscrit tout naturellement dans la négation de « worüber man nicht sprechen kann »).
ennui,hauteur,idée,métaphore,mot,négation,regard

intelligence
La philosophie est la promptitude et la maîtrise pour sauver le plus défaillant des trois protagonistes : l'intelligence, le langage, la sensibilité. Ce qui est infiniment plus élastique que la vue bien bornée et partiale de Wittgenstein : « La philosophie est une lutte contre la manière, dont le langage ensorcelle l'intelligence » - « Die Philosophie ist ein Kampf gegen die Verhexung unseres Verstandes durch die Mittel unserer Sprache » - la philosophie, au contraire, est la fusion avec le langage, la confiance faite au langage, au détriment de la réalité et de la représentation.
âme,consolation,esprit,langue,lutte,maîtrise,philosophie,réalité,représentation,sentiment,…

intelligence
La mathématique est la seule science divine, car elle est la seule à avoir, dans les fondements, une pure foi, une croyance n'ayant besoin ni des faits ni des preuves. « Au cœur de toute croyance bien fondée se trouve une croyance sans fondement » - Wittgenstein - « Am Grunde des begründeten Glaubens liegt der unbegründete Glaube ».
ange,cœur,commencement,réalité,religion,science

intelligence
Le monde n'est la totalité ni des faits ni des choses (Wittgenstein), mais de l'énergie (corpusculaire, ondulatoire ou spirituelle), en mouvement et en métamorphose. C'est le modèle du monde qui est construit autour des faits et des règles. Et la pensée n'est pas une image logique des faits (Wittgenstein : « Das logische Bild der Tatsache ist der Gedanke ») ; ce n'est pas en langage de représentation, mais en celui de requêtes qu'elle se formule, avant d'être soumise à la logique, qui fournit des substitutions et préfigure le sens.
arbre,filtre,idée,interprétation,question,raison,réalité,représentation

intelligence
Les égarements aussi bien du premier que du second Wittgenstein sont dus à la même méprise : occulter la place de la représentation entre la réalité et le langage. Opposer les faits aux choses est absurde, puisqu'il n'y a pas (dans la représentation) de faits sans choses ni de choses – sans faits ; l'analyse du langage, dans l'oubli de la représentation, est une tâche banale et superficielle, n'apportant pas grand-chose de la réalité, puisque le langage interroge la représentation plus que la réalité.
absurde,langue,question,réalité,représentation

intelligence
Même si la majorité de nos modèles (représentations) sont de libres créations de notre imagination, les modèles centraux (physiques, chimiques, biologiques) nous sont dictés immédiatement par la réalité. Et donc Platon est plus près de la vérité que Wittgenstein, pour qui il n'y a pas de modèles (Sachverhalte) dans le monde, qui ne serait que « tout ce qui est instance » - « die Welt ist alles was der Fall ist ».
création,réalité,représentation

intelligence
En philosophie, le soi apparaît avec Montaigne et culmine avec Nietzsche. Dans les écrits des impersonnels, le soi et les autres ont les mêmes attributs ; la même profondeur ou la même platitude leur étant réservée. Mais la peinture de soi est la preuve de la hauteur : « Sur soi on écrit à la hauteur, à laquelle on est » - Wittgenstein - « Über sich schreibt man, so hoch man ist ».
concept,hauteur,philosophie,platitude,soi

intelligence
Les charlatans du tournant linguistique (y compris Wittgenstein) et les bavards phénoménologiques (y compris Heidegger) méprisent la représentation, la réduisant à la vulgaire technique. Ils ne comprennent pas, que tout souci de l’être et tout langage sont impensables hors d’une représentation, et que le péquenaud ou le savant y font autant appel, seules la profondeur et la rigueur les distinguent. L’ontologie n’est qu’une partie modeste de la représentation, et le langage n’est qu’une grammaire créée par-dessus une représentation. La vraie porteuse du sens et le vrai garant de l’interprétation est la représentation. Schopenhauer fut plus intelligent.
esprit,être,interprétation,langue,philosophie,représentation,science

intelligence
Deux verbes parasites – être et exister – excitent la curiosité stérile des apprentis-philosophes et leur font formuler des requêtes absurdes des objets fantomatiques. Je me suis suffisamment expliqué sur être, prenons exister. En oubliant la polysémie et l’usage métaphorique, en oubliant la réalité et le langage comme domaines d’existence à part la représentation, que signifie dans celle-ci la phrase blanc existe ? Wittgenstein se serait lancé dans ses innombrables Sprachspiele (jeux de langage), qui n’apporteraient rien de constructif. L'objet blanc est - 1. une classe (blancheur), dont des sous-classes seraient blanc foncé, blanc clair etc. 2. un élément de la classe couleur, 3. une valeur de l’attribut couleur, 4. un attribut, dont des valeurs seraient blanc foncé, blanc clair etc.
auteur,concept,être,langue,philosophie,platitude,question,réalité,représentation

intelligence
Spinoza cherche à cerner la consolation, et Wittgenstein – le langage. Deux tentatives ratées, puisque l’un ignore la place de la tragédie dans le rêve et l’autre – celle de la représentation dans le discours.
consolation,défaite,discursif,langue,philosophie,représentation,rêve,tragédie

wittgenstein l.
Die Tatsachen gehören alle nur zur Aufgabe, nicht zur Lösung.

Les faits appartiennent, tous, au problème et non à la solution.
intelligence
Ils n'appartiennent ni à l'un ni à l'autre ; ils sont au cœur d'une représentation, par-dessus laquelle se construit un langage, dans lequel se formule le problème, et dont la solution est apportée par une interprétation s'appuyant sur les faits.
contrainte,interprétation,langue,mystère,représentation

wittgenstein l.
Der Philosoph behandelt eine Frage wie eine Krankheit.

En philosophie une question se traite comme une maladie.
intelligence
Et il y a, en philosophie, des experts en diagnostic - sociologues de tempérament, des spécialistes en pharmacopées - politiciens du geste, des gribouilleurs des histoires de maladies - chroniqueurs d'esprit. Quand on comprend, que le mal axial est incurable, on se détourne de la posologie désespérée et se voue à la nosologie pleine d'espérances. « Il en est qui laissent des poisons, d'autres - des remèdes. Difficiles à déchiffrer. Il faut goûter » - R.Char - chez les deux on subodore la fleur originelle, chez les autres - la grisaille des ordonnances ou des testaments.
espérance,filtre,inconnu,philosophie,platitude,question,souffrance,vie

wittgenstein l.
Die Philosophie läßt alles, wie es ist.

La philosophie laisse toute chose comme elle est.
intelligence
Fouiller les attributs des choses est, en effet, le souci des sciences. Mais en manipuler des points d'attache, en les ramenant à l'homme, est une tâche philosophique. Tout attouchement est un événement avec onde de choc. Les structures et la logique se complètent merveilleusement : objectivité logique et structures anthropologiques.
action,concept,hommes,philosophie,proximité,raison,science

ironie
Dans la vie comme dans l'algèbre : pour connaître tes racines, transforme ton bric-à-brac d'inconnues disparates en une équation annihilante et, par substitutions impitoyables, arrive jusqu'aux solutions en arbre moqueur, qui te fera comprendre, que dans la vie non-mécanique il n'y a pas de solutions (au moins, dans l'intelligible : « La solution du mystère de la vie se trouve hors de l'espace et du temps » - Wittgenstein - « Die Lösung des Rätsels des Lebens liegt ausserhalb von Raum und Zeit »), il n'y a que des mystères.
arbre,filtre,mystère,robot,vie

ironie
La même monotonie, soit inertie soit ennui, accompagne ceux qui ne vécurent jamais un moment de grâce, d'illumination ou de conversion (comme St-Paul, St-Augustin, Dostoïevsky, Nietzsche, Tolstoï, Valéry, Wittgenstein, Heidegger). Pour avoir sa voix reconnaissable, il faut avoir entendu des voix d'inconnus.
continuité,ennui,grâce,inconnu,vie,voix

ironie
La bonne acoustique commence avec l'érection de murs, à l'intérieur desquels on ne parle pas, on devient une ouïe musicale. « Le but de la philosophie est d'élever un mur là où, de toute façon, le langage s'arrête » - Wittgenstein - « Das Ziel der Philosophie ist es, eine Mauer dort zu errichten, wo die Sprache ohnehin aufhört ». Le mur moderne y est plus efficace que le pont antique, puisque aucun passage n'est possible entre la parole de l'emphase et la musique de l'extase.
frontière,langue,musique,ouïe,philosophie

ironie
Aucun non-mathématicien n’a jamais formulé quelque chose de philosophiquement profond ou divinement haut sur la nature de la démarche mathématique (ni Spinoza ni Valéry ni Wittgenstein ni A.Badiou). Mais les mêmes tentatives des mathématiciens eux-mêmes débouchent dans de franches platitudes. Einstein, ni mathématicien ni philosophe, est le seul à avoir la-dessus des avis enthousiasmants.
dieu,enthousiasme,hauteur,philosophie,platitude,science

mot
La référence : une réponse langagière au désir, à la focalisation, à l'intention de désigner un objet ou une relation ; d'autres l'appellent intentionnalité ; sa diversité verbale est générée par des grammaires de réécriture (Chomsky). La signification : un renvoi pragmatique, hors du langage, à partir d'un fait conceptuel, établi par l'interprétation d'un discours, renvoi vers les objets réels - c'est ce que d'autres appellent - dialectique ; l'intuition et l'arbitraire en sont les seuls justificatifs. Wittgenstein nage, au milieu de ses binômes, et s'y noie, faute de trinité salutaire : langue, représentation, réalité.
concept,consolation,élan,grèce,idée,interprétation,langue,question,réalité,représentation,…

mot
Ils pensent sérieusement, que la représentation du monde peut être prise en charge par des structures grammaticales, tandis que ces piètres structures restent presque entièrement à l'intérieur des frontières de la langue, et les frontières du monde commencent bien au-delà de la langue, quoi qu'en pense Wittgenstein. La langue fait partie des solutions, le monde restera toujours parmi des mystères, que tente de refléter, telles les idées platoniciennes, la représentation.
frontière,idée,langue,liberté,nature,mystère

mot
L'indigence langagière semble, aujourd'hui, avoir atteint une limite insurpassable ; le monde prend sa stature définitive, et la prospection de l'avenir devient sans objet. « Sans nouveau langage – pas de nouveau monde » - Wittgenstein - « Keine neue Welt ohne neue Sprache ».
langue,modernité,nature,temps

mot
Ce sont surtout les bavards qui chantent les vertus du silence. Ce n'est pas le silence que brise le mot, mais le caquetage des idées reçues. Le silence a besoin d'espaces à remplir et non pas de sons à corrompre ; pour cette basse besogne, il y a des idées. Ce n'est pas un silence parlant que je plains - dans ce cas il y a du consentement - je déplore le viol d'un silence musical, silence des choses, dont on ne peut pas parler (Wittgenstein), on ne peut que le chanter.
danse,discursif,idée,musique,platitude,silence

mot
Je ne prête l'oreille aux sermons ou dissertations que si je sens, à leur origine, un désert et non pas des bibliothèques ou cimetières. On peuple de silence le désert du soi, désert d'initiés. Ce bon silence (das rechte Schweigen de Heidegger, si proche de celui de Wittgenstein), que seul un maître sait traduire en mots : « La philosophie est la reconversion du silence et de la parole l'un dans l'autre »*** - Merleau-Ponty. Une autre tâche de la philosophie devrait consister à écouter le bruit profond et tragique de la vie, pour le traduire en musique, haute, héroïque et consolante. Et peu importe, si cette musique était reconvertie en bruit difforme, par les oreilles modernes robotiques.
auteur,commencement,consolation,discursif,désert,école,élite,hauteur,modernité,musique,…

mot
Trois types assez nets de philosophie : autour des substantifs, adjectifs ou verbes. Comparez ce qu'on bâtit autour de intensité, intensif, intensifier : l'ennui ravi, l'ennui rivé, l'ennui crevé (Wittgenstein l'a très bien vu : « Il serait intelligent de diviser un livre traitant de philosophie par parties de discours » - « Es wäre vernünftig, ein Buch über Philosophie nach Arten von Wörtern aufzugliedern »). Le malheur du verbe est sa fâcheuse tendance de s'incarner, de se substantiver et de promettre des transfigurations, voire des résurrections, au milieu des pronoms désarticulés et crédules.
ennui,esprit,filtre,force,intelligence,intensité,philosophie,utilité

mot
La vivacité d'un discours est fonction d'audace des hypothèses et de pittoresque des chemins d'accès aux objets ; le calme n'y a pas beaucoup de place, il sied plutôt à la représentation qu'à la donation de sens. « Aux turbulences des hypothèses nous préférons une calme énumération de faits du langage » - Wittgenstein - « Statt der turbulenten Mutmaßungen wollen wir ruhige Erwägungen der sprachlichen Tatsachen » - comme si les faits du langage étaient libres de la formulation d'hypothèses turbulentes !
audace,chemin,concept,discursif,langue,représentation,sentiment

mot
Cette erreur irrécupérable de Mallarmé ou de Wittgenstein - la dissociation entre la langue et ses références extérieures, la source du sens soi-disant gisant dans la langue même. Toute image tropique - dépassant la musique et l'usage - naît déjà dans l'interprétation et celle-ci se fait dans le contexte d'un modèle et non pas d'un banal dictionnaire. Référence, vérité, sens, ces concepts de Frege, furent énoncés dans un mauvais ordre, avec de fausses symétries et analogies.
commencement,erreur,idée,interprétation,langue,représentation,vérité

mot
L'unité sémantique première n'est ni le mot ni la proposition (Frege et Wittgenstein), mais la référence d'objet, de valeur ou de relation, qu'il s'agit d'unifier avec la représentation.
arbre,concept,langue,représentation

mot
Le mot de la langue (sauf les marqueurs logiques) n'a pas de sens lui appartenant en propre ; il est attaché à plusieurs concepts ayant chacun un sens, et le contexte de la phrase permet de réduire l'espace de recherche des concepts plausibles ; derrière le mot, dans la phrase, ce qu'il faut chercher ce n'est pas la chose, mais le chemin d'accès aux choses ou relations, chemin, qui s'y inscrit syntaxiquement ; le mot traduit une volonté subjective du locuteur et non pas une représentation objective. Tous ces points sont compris de travers par Wittgenstein.
concept,idée,interprétation,langue,représentation,valoir

mot
La signification du mot n'existe pas. Une signification du mot, dans un énoncé correct, dans le contexte d'un modèle conceptuel, c'est un concept auquel le mot est associé après une interprétation réussie de l'énoncé ; bref, elle est hors du langage ; dire que « la signification d'un mot est son emploi dans le langage » - Wittgenstein - « die Bedeutung eines Wortes ist sein Gebrauch in der Sprache » - est une métaphore trop faible, même si elle est plus sensée que de nous renvoyer à un dictionnaire ; elle nous introduit, plutôt, dans ce qui est le sens, mais celui-ci n'est pas associé à un mot, mais à un énoncé entier ; la signification est du libre arbitre, le sens - de la liberté.
idée,interprétation,langue,liberté,métaphore,représentation

mot
C'est dans le cadre d'un langage donné que se définit le silence ; quand on atteint les limites d'un langage, ce n'est pas le silence qu'on doit adresser aux choses inaccessibles (Wittgenstein), mais le chant, chant, qui est métaphorisation du langage courant.
danse,inconnu,langue,métaphore,silence

mot
Les résultats en algèbre ou en analyse auraient gardé exactement la même valeur, si nous n'avions pas adoptés les notations de Newton, Leibniz ou Gauss. De même, notre connaissance du monde ne perdrait rien, si l'on renonçait à l'emploi d'une langue quelconque. Donc, parler comme Heidegger ou Wittgenstein, que les limites de notre univers coïncident avec celles de notre langue, est une sottise.
intelligence,langue,nature,savoir,science

mot
Rôle néfaste que peut jouer la grammaire : la transitivité du verbe taire (tandis qu'il est intransitif en allemand, schweigen über, et en russe, молчать о) fait du silence de Wittgenstein une cachotterie ou une dissimulation, tandis qu'il s'y agit d'une impuissance ou d'un recueillement ; peut-on taire un heptagone constructible ? - la transitivité suppose l'existence, ce que ne fait pas l'intransitivité. Le Filioque n'est pas très loin. Par ailleurs, il ne serait qu'une pure chinoiserie : « Le premier engendra le second ; les deux produisirent le troisième ; et les trois firent toutes choses. L'incompréhensibilité de cette Trinité vient de son Unité » - Lao Tseu.
allemagne,chine,christianisme,être,force,france,russie,silence

mot
Dans tout discours, la part purement langagière est entrelacée avec les couches conceptuelle et poétique, la référentielle et l'expressive ; quand ces deux dernières sont trop misérables, ne conduisant ni à un approfondissement fécond ni à un rehaussement musical, on peut appeler ce discours exclusivement langagier, c'est le silence, dont parle Wittgenstein ; dans un discours intellectuel ou poétique, au contraire, après l'unification avec des idées ou images, disparaît le langage (Valéry). Entre la maxime verbale et la pantomime musicale se joue la création humaine.
création,esprit,idée,interprétation,langue,maxime,musique,poésie,silence

mot
On bâille ferme, lorsque le philosophe ne parle que de philosophie, ou le philologue - que de philologie ; c'est l'intérêt ou la volonté que le philosophe tourne vers la forme langagière ou le philologue - vers le fond conceptuel, qui sont plus prometteurs. Ce qui est curieux, c'est que l'incompétence ne gêne en rien les philologues (Nietzsche, Heidegger) et ridiculise - les philosophes (Wittgenstein, Foucault).
idée,langue,philosophie,savoir,style

mot
La langue, ce sont des matériaux de construction, plus les normes de leur résistance ; le discours personnel, c'est l'œuvre d'un architecte, bâtie sur ses représentations, face aux exigences de la réalité ; la langue ne peut avoir de relations algébriques qu'avec des représentations, et donc toute idée d'un isomorphisme quelconque entre la langue et la réalité (Wittgenstein) est une pure absurdité. Et lorsque la langue suit de trop près la représentation, disparaît toute créativité de l'ange et s'installe le mal de la bête : « Le mal radical - la chute du langage dans la représentation »** - Derrida.
absurde,concept,langue,mal,matière,réalité,représentation

mot
La fonction principale du langage dans la philosophie n'est ni l'herméneutique (Heidegger) ni l'analytique (Wittgenstein), mais la poétique - la qualité du chemin mental, qui mène de la référence à l'objet, de l'étiquette à la structure, de l'immédiat à la métaphore, de l'intemporel au mouvement, du factuel à l'émotionnel, du neutre à l'intense.
concept,élite,intensité,interprétation,langue,métaphore,philosophie,poésie,sentiment,temps

mot
Ni la langue, ni, encore moins, la logique ne représentent le monde (comme le pense Wittgenstein) ; elles ne font qu'en interroger des représentations. Le monde, lui, est plein de beau, de bon et de mystérieux ; mais je me demande, si j'habite le même monde que Wittgenstein, pour qui celui-ci est démuni et d'éthique et d'esthétique, et, en plus : « On n'y trouve aucun mystère » - « Das Rätsel gibt es nicht », tout en le sentant à ses frontières.
beauté,bien,frontière,langue,mystère,représentation

mot
Je ne connais qu'un seul philosophe, également bien armé, pour affronter les deux seuls défis de la philosophie noble, le désespoir et le langage, - Wittgenstein. Mais il manque trop de talent littéraire ; le tempérament d'homme et la finesse de philosophe ne passent pas dans le style d'écrivain.
art,espérance,esprit,langue,noblesse,philosophie,style

mot
Deux points de vue sur le langage, bien que diamétralement opposés, sont niais au même point. L'aberration de Wittgenstein : « L'essence du langage est une image de l'essence du monde » - « Das Wesen der Sprache ist ein Bild des Wesens der Welt » - l'essence du langage étant sa grammaire, totalement indépendante du monde. La bêtise, à trois étages, de Barthes : « En termes topologiques, on ne peut faire coïncider un ordre pluridimensionnel (le réel) et un ordre unidimensionnel (le langage) » - 1. l'auteur ignore tout des isomorphismes (on n'a pas besoin de topologie, pour les établir) ; 2. le réel n'est pas pluridimensionnel, mais a une infinité de dimensions (tout modèle signifié, en revanche, est pluridimensionnel) ; 3. la non-coïncidence doit se constater du réel avec son modèle et non pas avec un langage, qui ne représente rien du tout (il ne représente pas, il présente la chose !
axe,être,inconnu,intelligence,langue,négation,réalité,représentation,ordre

mot
Les rapports des choses avec les mots sont multiples et allégoriques, puisqu'ils sont, tous, entachés de représentations, par lesquelles transitent les mots. Un cogniticien le comprend, pas un grammairien ; il est idiot de chercher le seul mot, pour dire, qualifier ou animer une chose ; cette vision est celle qui vise à éliminer le pronom à la première personne du singulier - une vision de robots, encouragée par des doctes : « L'un des modes de représentation les plus erronés est l'usage du mot 'moi' » - Wittgenstein - « Eine der am meisten irreführenden Darstellungsweisen unserer Sprache ist der Gebrauch des Wortes 'ich' ».
audace,être,interprétation,langue,représentation,robot,savoir,soi

mot
Le but du dit philosophique est l'attouchement par l'indicible, tâche, où ni le montré pratique ni le démontré scientifique ne sont d'aucun secours (« l'inexprimable se montre » - « das Unaussprechliche zeigt sich » - en mélodie). Une étrange consonance avec les mots (qui sont aussi, comme les mots du Tractatus de Wittgenstein, la coda du livre ! ) de H.Broch : « Ce Verbe fut inexprimable, car il fut au-delà du langage » - « Das Wort war unaussprechbar denn es war jenseits der Sprache ». En deçà du langage il y a le corps et l'esprit, et au-delà - la musique : « Il m'arrive de penser que la langue, ce n'est encore rien » - Beethoven - « Es gibt Momente, wo ich finde, daß die Sprache noch gar nichts ist ».
art,esprit,langue,musique,philosophie,science

mot
Décrire l'usage d'un clou ou le goût d'un fromage relève des mêmes ressources représentationnelles et langagières que pour décrire l'émoi d'une âme, écoutant une sonate, ou la peine d'un cœur, saisi par une compassion. La distance entre un discours et la réalité correspondante est toujours du même ordre. Il est donc bête d'affirmer, que « les propositions ne peuvent rien exprimer de Supérieur » - Wittgenstein - « Sätze können nichts Höheres ausdrücken », puisque dans l'Inférieur, elles n'ont pas plus de compétences.
âme,cœur,langue,pitié,proximité,réalité,représentation,savoir

mot
Le langage n'a rien de réfléchissant ou d'illuminant ; il est aberrant de dire, que « le langage est le miroir du monde ; et la réalité est l'ombre portée de la grammaire » - Wittgenstein - « Die Sprache ist der Spiegel der Welt ; und die Realität ist der Schatten der Grammatik » (« miroir de l'esprit » - Leibniz, « miroir de l'âme » - Publilius) - plus qu'avec la réalité, le langage communique avec la représentation et la reflète. Cette image, spéculaire du réel, est l'une des introductions rampantes du robot. Le minable tournant analytique (Frege), aplatissant l'élégant tournant cognitif (Chomsky).
âme,goût,langue,ombre,réalité,robot

mot
Intuitivement, il est clair qu'on ne peut explorer ou exprimer la réalité qu'à travers des structures et des logiques. Mais quand les philosophes (surtout analytiques) sont assez aveugles, pour ne pas voir la place de la représentation dans une épistémologie, il ne leur reste, comme matériau, que la langue. D'où ces aberrations invraisemblables : « L'essence s'exprime dans la grammaire » - Wittgenstein - «  Das Wesen ist in der Grammatik ausgesprochen ». Cette misérable grammaire, qui n'est qu'un habillage structurel au-dessus d'une logique et qui n'entre en aucun contact avec l'essence des choses (que seul effleure le lexique) ! Le sens (et l’essence) d’une phrase résulte des substituions des mots par des concepts de la représentation.
concept,être,langue,philosophie,réalité,représentation,savoir,science

mot
Dans le discours sur les connaissances, la question centrale est la distinction entre ce qui est conceptuel et ce qui est langagier ; on n'a pas besoin d'une vaste culture philosophique, et encore moins d'une culture linguistique, pour en juger ; seul un poète, doué d'une intuition philosophique et de quelque savoir technique, peut en dresser un tableau intéressant. À l'opposé, ni Kant, ni Hegel, ni Nietzsche, ni Wittgenstein, ni Heidegger n'eurent jamais une intuition linguistique valable, pour formuler une théorie complète des connaissances, sans parler des Anciens, chez qui, la-dessus, on ne lit que des balbutiements. Seul le grand Valéry fut lucide, avec ses états mentaux et sa vision des substitutions.
antiquité,arbre,culture,idée,langue,philosophie,poésie,savoir,système

mot
Dans les expressions De l’eau !, Va-t’en !, Au secours !, Magnifique !, (Wasser! Fort! Hilfe! Schön!), L.Wittgenstein ne voit pas de références d’objets. Pourtant, de toute évidence, elles y sont ; il suffit de comprendre, qu’entre le langage et la réalité existent des représentations, et qu’au-dessus de la grammaire existent des interprètes logiques, maîtrisant des références implicites d’objets de la représentation. Les représentations sont individuelles, tandis que les philosophes analytiques sont obsédés par le sens universel des mots et par le caractère absolu de la grammaire.
concept,interprétation,langue,philosophie,réalité,représentation,science,universel

mot
Wittgenstein ne comprend rien au langage : « La proposition est un reflet de la réalité ; la proposition montre son sens » - « Der Satz ist ein Bild der Wirklichkeit. Der Satz zeigt seinen Sinn ». La proposition est énoncée par un sujet et interprétée par un autre ; ces sujets ont des représentations différentes et donc mettent ou extraient des sens différents de la proposition. La proposition ne montre qu’une structure grammaticale, sans rien de conceptuel ; et le conceptuel est le seul accès au réel.
concept,hommes,interprétation,langue,question,réalité,représentation

mot
C’est la pensée qui doit être au service des mots et non pas l’inverse, elle en serait un vêtement. Plus je mets de la rigueur dans le mot, plus je suis sûr d'habiller un épouvantail ou une figure de géométrie. La haute stature du mot doit être au-dessus de la couture de la pensée, et leur homologie est toujours suspecte. « En l'habillant, la langue dissimule la pensée » - Wittgenstein - « Die Sprache verkleidet den Gedanken » - mais le couturier peut se moquer de mannequins. La valeur des mots séduit la vie ; les pensées en rédigent l'état civil ou en fixent le prix.
axe,caresse,doute,hauteur,idée,langue,platitude,proximité,raison,robot,…

mot
L’analyse de toute phrase correcte en langue naturelle aboutit à une formule logique. Dans les phrases suffisamment complexes on trouve presque toujours des variables implicites, aux valeurs indéterminées et donc, au départ, vagues. Aucun logicien, sans parler de linguistes, n’est capable de traiter rigoureusement la négation (syntaxique et sémantique), puisque même dans les cas simples la pré-existence d’une représentation conceptuelle est indispensable, ce qui échappe à ces scientifiques. Pourtant, l’un des plus célèbres affirme : « En logique, il ne peut pas y avoir quelque chose de vague » - Wittgenstein - « Eine Vagheit in der Logik kann es nicht geben ».
concept,langue,négation,représentation,science,vérité

mot
Toute la bêtise du tournant linguistique consiste dans l’oubli de la place de la représentation : « Les mots de la langue désignent les objets réels » - Wittgenstein - « Die Wörter der Sprache benennen Gegenstände ». Les mots désignent (ou plutôt référencent) les concepts d’une représentation ; l’objet réel est le même pour tous, le concept ne l’est jamais.
concept,erreur,intelligence,langue,réalité,représentation

mot
L’abêtissement de la philosophie par le piteux tournant linguistique prouve que les Anciens furent plus profonds, en mettant l’ontologie, et donc la représentation, au centre de leur attention. Cet abêtissement frappa le vieux Wittgenstein, qui, jeune, adopta une démarche ontologique, proche de celle d’Aristote, mais, vieux, sombra dans une lamentable anthropologie des jeux de langage, jeux si appréciés par les plus bêtes des Anglo-Saxons.
amérique,angleterre,antiquité,être,hauteur,intelligence,langue,philosophie,représentation

mot
Il n’y a pas de définitions de mots d’une langue ; on ne définit que les concepts de la représentation sous-jacente. Et Wittgenstein, en parlant d’une langue : « Les définitions sont les règles de la traduction d’une langue dans une autre » - « Definitionen sind Regeln der Übersetzung von einer Sprache in eine andere » - ne comprend pas les mécanismes de la traduction. Même les définitions de concepts, dans les langues différentes, sont toujours différentes et ne peuvent pas servir de règles.
concept,langue,représentation

wittgenstein l.
Die Verbindung zwischen Sprache und Wirklichkeit wird allein durch die Worterklärung gemacht. Diese Worterklärung gehört zur Sprachlehre.

La liaison entre langage et réalité n'est faite que par les explications de mots, qui font partie de la linguistique.
mot
Le langage n'a aucun moyen abstrait, pour entretenir une liaison avec la réalité ; il est esclave du modèle ; c'est le modèle qui lui dictera l'interprétation de mots. Plus d'autonomie on accorde au langage, plus piètre linguiste on est.
interprétation,langue,liberté,réalité,représentation

wittgenstein l.
Wir übersehen den Gebrauch unserer Wörter nicht.

Nous ne dominons pas du regard l'usage de nos mots.
mot
Si, mais c'est l'oreille d'autrui qui ne les entend pas sur le même registre. Et c'est bien le regard qui prouve le poids originel du verbe ; entendre des voix n'y sert, en revanche, à rien. L'oreille, qui voit (Jeanne d'Arc), ou l'œil, qui écoute (Claudel), sont des perversions.
balance,flèche,maîtrise,ouïe,regard,voix

wittgenstein l.
Die Sprache ist ein Labyrinth von Wegen.

Le langage est un labyrinthe de chemins.
mot
Dans le langage lui-même il n'y a ni labyrinthes ni chemins ; la structure la plus complexe n'y est que l'arbre syntaxique temporel. L'interprète du langage n'est pas de nature langagière ; les chemins se construisent dans la représentation sous-jacente, pour former des réseaux spatiaux de concepts ou de métaphores.
arbre,chemin,idée,interprétation,langue,métaphore,représentation,temps

wittgenstein l.
Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen.

Ce dont on ne peut parler, il faut le taire.
mot
Pour un condisciple de Hitler et un serviteur de Staline (avec d'autres Apôtres de Cambridge), c'est une sage précaution (prise, avec la même élégance, par les camarades Kojevnikov et Hemingway). En sens inverse, le silence, peut-il avoir une projection verbale ? - pour chercher « un mot à l'image du silence » - Celan - « ein Wort nach dem Bilde des Schweigens ». Malheureusement, « là où manque le verbe, parle l'action » - Goethe - « wo die Worte fehlen, spricht die Tat ». La philosophie serait décidément de la poésie : « Le verbe nous manque ; philosopher est dire ce qui ne se laisse pas dire » - Adorno - « Fehlen uns die Worte ; Philosophie ist : sagen was sich nicht sagen läßt » ; tandis que la théologie en serait l'antithèse : « Nous taire, tel est souvent notre devoir ; car les noms divins manquent » - Hölderlin - « Schweigen müssen wir oft ; es fehlen heilige Namen ». Mais pour ceux qui préfèrent la couleur à la géométrie, le chant à la déclamation et la danse à la marche, bref - l'esthétique à l'éthique, il reste d'autres échappatoires à l'angoisse devant le silence.
action,angoisse,beauté,bien,danse,esprit,goût,inconnu,langue,musique,…

wittgenstein l.
Je älter ein Wort ist, desto tiefer reicht es.

Plus un mot est ancien, plus loin en profondeur il pénètre.
mot
Plus un mot excitant oublie l'œil du temps, plus de chances il a de s'élever vers la hauteur. Sur cette dimension, le meilleur regard est plus proche de la caresse que de la vision, même si « jamais le champ tactile n'a l'ampleur du champ visuel » - Merleau-Ponty.
axe,caresse,hauteur,temps

wittgenstein l.
Die Grenzen meiner Sprache sind die Grenzen meiner Welt.

Les limites de ma langue sont les limites de mon monde.
mot
Ce monde ressemble à celui de la Panthère de Rilke, et dont la frontière serait sa cage. Ce monde est clos (comme la maison de l'être), et l'homme est un Ouvert (par le toit ouvert sur son étoile, dans ses ruines). La langue est une généralisation de la logique, donc elle ne s'occupe de la forme, tandis que le monde, c'est un contenu. La langue n'est qu'une machine à interroger les modèles du monde. On étend ses limites en introduisant, dans ses requêtes, de plus en plus de variables et en s'intéressant aux liens, qui ne sautent pas aux yeux. Qui ne sait pas questionner, ne sait pas voir non plus.
arbre,étoile,être,frontière,interprétation,langue,ouvert,question,regard,ruines,…

noblesse
Dis-moi comment tu bâtis ta tour d'ivoire, je te dirai pourquoi elle sera une ruine. C'est ce qu'aurait pu vouloir dire Morgenstern : « Montre-moi comment tu bâtis, je te dirai qui tu es » - « Zeige mir, wie du baust, und ich sage dir, wer du bist ». Nous sommes ce que nous trouvons, mais même ce que nous cherchons peut donner une idée de la nature de nos contraintes, qui sont souvent plus éloquentes que nos ressources ou nos finalités. « Dis-moi comment tu cherches, je te dirai ce que tu cherches »*** - Wittgenstein - « Sage mir, wie du suchst, und ich werde dir sagen, was du suchst ».
château,contrainte,ruines

noblesse
Tout édifice fixe finit par exhaler un irrespirable ennui ; pour que ma construction puisse porter le noble titre de ruines intemporelles, on doit y entrevoir une possibilité d'édifices ; et mes ruines seront d'autant plus hautes, que plus profonds en seront les sous-sols : « Cela ne m'intéresse pas de construire un édifice, mais d'avoir des fondements des édifices possibles » - Wittgenstein - « Es interessiert mich nicht, ein Gebäude aufzuführen, sondern die Grundlagen der möglichen Gebäude zu haben ».
hauteur,ruines

noblesse
Ce que n'importe qui peut dire, il faut le taire ; ce qu'on ne peut que dire, et non pas chanter, il faut le taire ; ce qu'un autre peut chanter, ce n'est pas la peine que je le dise ; ce qui est dit ne peut pas être chanté ; il ne reste au dire qu'un champ de silences ou un commentaire du chant. Et Voltaire : « Ce qui est trop sot pour être dit, on le chante » - aurait pu ou dû mettre vague ou beau, à la place de sot, pour défier Wittgenstein ou laisser Zadig inspirer Zarathoustra : « Chante ! Ne parle plus ! » - « Singe ! Sprich nicht mehr ! ». Le silence est une contrainte, plus qu'un moyen. D'ailleurs, Zarathoustra ne parle pas, il chante !
contrainte,danse,doute,esprit,intelligence,mot,silence

noblesse
Les penseurs (Wittgenstein II, Heidegger II) nous enquiquinent avec des revirements radicaux et profonds de leurs dernières pensées ; les rêveurs (Nietzsche, Cioran) nous enthousiasment avec leur haute fidélité aux premiers émois. Algorithmes des ruptures, rythmes des signatures.
ennui,enthousiasme,esprit,musique,robot,sacrifice,sentiment

noblesse
Il serait bête d'énoncer dans mon livre ce que n'importe qui aurait pu faire à ma place ; c'est à cause de cette contrainte volontaire qu'il faut taire certaines choses, dont je me refuse de parler, puisque je ne le dois pas, tout en le pouvant (Wittgenstein s'y méprit de verbe, comme Rivarol : « La raison se compose de vérités qu'il faut dire et de vérités qu'il faut taire » - de sujet et d’objet : il faut mettre contrainte à la place de raison et fait - à la place de vérité).
auteur,bonheur,contrainte,danse,raison,silence,valoir,voix

noblesse
Les appels pathétiques à changer ou à perfectionner notre vie individuelle, qu'on entend chez Tolstoï, Rilke, Wittgenstein ou Sloterdijk, sont presque sans objet, puisque, chez nous, les traits perfectibles sont parmi les plus insignifiants, l'essentiel étant câblé en dur depuis notre adolescence. Le méliorisme ne peut agir que sur le troupeau.
enfance,mouton,soi,temps,vie,voix

wittgenstein l.
Ich hätte ein Stern werden sollen. Ich bin aber auf der Erde sitzengeblieben.

Un astre, voilà ce que j'aurais dû devenir, au lieu de rester assis par terre.
noblesse
Ne pas chercher à illuminer - être lumineux ! Voilà la bonne leçon que tu avais mal apprise. Suivre son étoile, couché ! Ceux qui rêvent de devenir un astre, finissent par allumer une bougie vite éteinte.
étoile,ombre,rêve

proximité
C'est autour du vide que s'éploient les plus forts vocables : tentation, crainte, recherche (Maître Eckhart), chute (Cioran), rayonnement (le prince de Lumière). Je l'associe au travail, à la veille comme le beau silence opposé au sommeil, mais ami du rêve. Le vide est un silence élaboré, sur le point de recevoir le mot musical. La kénose des contraintes aboutissant à l'apothéose des buts. Le bavardage des autres ne serait-il pas le silence des mots ? « Si la musique fait défaut, il faut se taire »** - A.Blok - « Лучше молчать, если нет музыки » - la meilleure réplique à Wittgenstein.
action,asie,audace,auteur,contrainte,défaite,discursif,mot,musique,ombre,…

proximité
Pour le fuyard des rigueurs scientifiques et le persécuté par l'imaginaire philosophique ou physiologique, la prière poétique reste l'ultime refuge, l'ultime séjour, renouvelable par la police céleste, avant l'expulsion vers le végétal ou le minéral. « La foi chrétienne est le refuge dans la plus haute détresse » - Wittgenstein - « The Christian faith is a man's refuge in the ultimate torment ».
christianisme,désert,exil,hauteur,ironie,philosophie,poésie,religion

proximité
L'unique objet, dans lequel on puisse vivre la proximité la plus enthousiasmante et le lointain le plus angoissant - le visage de l'autre. Le regard, au sens propre, y prend l'allure d'un mystère sans fond. « On ne peut pas séparer le regard du visage » - Wittgenstein - « Den Blick kann man vom Gesicht nicht trennen ». Le visage est le miroir du cœur, ce pauvre cœur, choisi pour demeure par la machine, qui ne se contente plus de ses séjours dans les pieds, les mains et les cerveaux. Bientôt, les badges seront plus expressifs que les visages. « Jadis, on tenait à son visage et cachait son corps ; aujourd'hui, on s'occupe de son corps et oublie son visage » - Klioutchevsky - « Прежде дорожили лицом и скрывали тело, ныне ценят тело и равнодушны к лицу ».
action,angoisse,cœur,enthousiasme,mystère,raison,regard,robot,voix

proximité
Mon soi inconnu ne m'appartient pas, tout en inspirant le goût et la création de mon soi connu. Celui-ci est dans l'élan vers les limites soufflées par celui-là, qui, penché sur le monde, serait ces limites mêmes : « Le soi philosophique, c'est le sujet métaphysique, frontière, et non partie, du monde »** - Wittgenstein - « Das philosophische Ich ist das metaphysische Subjekt, die Grenze - nicht ein Teil der Welt » - ce soi ouvert serait donc le soi inconnu.
création,élan,frontière,goût,inconnu,nature,ouvert,philosophie,soi

proximité
Mieux on comprend le comment du monde, mieux on sent la présence du Qui. « Pour la hauteur, peu importe comment le monde est. Dieu ne se révèle point dans le monde » - Wittgenstein - « Wie die Welt ist, ist für das Höhere vollkommen gleichgültig. Gott offenbart sich nicht in der Welt » - Dieu est dans la possibilité de la hauteur, pour toute parcelle du monde. Le bon pape Benoît XVI, en citant Wittgenstein, tricha : « Dieu se révèle 'dans' le monde » - « Gott offenbart sich 'in' der Welt ».
dieu,hauteur,nature,mystère,nécessité

proximité
En quels termes puis-je parler de proximité ou d'accessibilité de mon soi inconnu ? Il m'est plus proche que la raison elle-même, puisque c'est lui qui anime mon esprit, pour qu'il devienne âme ; et ce souffle est plus spontané que mes mots, mes idées ou mes actes. Il est mon ouverture vers la merveille du monde, de la vie, de la raison ; il est si proche, que les myopes ne le voient même pas : « Le moi intérieur m'est caché » - Wittgenstein - « Das Innere ist uns verborgen ».
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proximité
Les fondateurs d'Églises : ses Pères - l'orthodoxie, Charlemagne - le catholicisme, Luther - le protestantisme ; recel de faux, faux, usage de faux - tout est prévu pour la rétractation et le verdict. Et chaque fois huit siècles séparent ces croires à former, comme huit siècles séparent les pensers du formé : Aristote, St-Augustin, Thomas d'Aquin, Wittgenstein. La prochaine étape serait donc un nouveau croire. Mais croire, en absence des âmes, est-ce encore croire ? Thomas d'Aquin comptait onze passions ; quatre siècles plus tard, Descartes n'en voyait plus que six ; encore quatre siècles, et bientôt nous n'en serons qu'à zéro.
christianisme,élan,justice,mensonge,temps

proximité
Je pensais être le seul à avoir lu et admiré les magnifiques interprétations des Évangiles par Tolstoï. Quels ne furent ma surprise et mon plaisir, quand j'apprendrai, par B.Russell, que, dans une librairie galicienne, ce livre sera le seul à survivre aux bombardements de la Grande Guerre et y sera découvert par Wittgenstein, qui en sera profondément bouleversé.
auteur,christianisme

wittgenstein l.
Das Gebet ist der Gedanke an den Sinn des Lebens.

La prière est la pensée du sens de la vie.
proximité
La ponctuation en décide : un point d'exclamation matérialiste, un point d'interrogation idéaliste, ou, pour un croyant, - les deux (!?). Mais les plus belles prières se réduisent aux points de suspension, qui s'adressent à la hauteur et deviennent : « une attente d'un bonheur mystérieux, la vie tout emplie du sens le plus haut » - Tchékhov - « ожидание таинственного счастья, жизни, полной высокого смысла ».
bonheur,hauteur,idée,matière,question,religion,sentiment,vie

russie
On ne peut être attiré par la Russie qu'avec les yeux d'enfant ; dès qu'on creuse ou abrase, et même dès qu'on gratte, on tombe sur la sombre profondeur du Tartare ; de bonnes raisons d'aimer la Russie se trouvent, toutes, en hauteur déracinée. « Derrière les raisons enfantines de m'installer en Russie, se trouvent des profondes » - Wittgenstein - « Behind all my childish reasons to settle in Russia, there are deep ones » - tu n'aurais pas dû abandonner le regard d'enfant pour ouvrir les yeux d'adulte.
enfance,enthousiasme,hauteur,mélancolie,regard,universel

russie
Ni Dostoïevsky ni Tolstoï ne trouvèrent en France d'adeptes de talent (on ne peut pas prendre au sérieux des G.Bernanos ou A.France) ; c'est d'autant plus étrange que Nietzsche ou Wittgenstein en sont des héritiers enthousiastes et pénétrants.
art,enthousiasme,france,philosophie

wittgenstein l.
Rußland : die Leidenschaft verspricht etwas. Unser Gerede dagegen ist kraftlos.

La Russie : la passion promet une force quelconque ; notre baratin n'en promet aucune.
russie
Mais votre erreur est d'avoir imaginé, qu'on puisse tenir cette promesse, tandis qu'elle n'est belle qu'entretenue abstraitement. Tous les économistes te diront : plus on écarte les passions des affaires des hommes, mieux se porte le pouvoir d'achat et même la justice sociale. Et que si, en général, l'âme disparaît des débats, cette péripétie n'est remarquée et elle ne chagrine qu'une partie infinitésimale d'une élite délitée.
âme,argent,erreur,espérance,force,justice,mélancolie,souffrance

solitude
Les profondeurs sont saturées d'avis pertinents ; pour étaler leurs requêtes de reptile, il ne reste aux sages que la platitude. En hauteur ne résonnent que les cris lancinants de volatiles solitaires, abandonnés des regards et des oreilles des sages. « Le sage ne s'attarde pas dans les austères hauteurs de l'intelligence et descend dans des vertes vallées de la bêtise » - Wittgenstein - « In den Tälern der Dummheit wächst für einen Philosophen immer noch mehr Gras als auf den kahlen Hügeln der Gescheitheit ».
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solitude
C'est peut-être dans la confrontation entre la solitude de l'être et la solitude du mot que se trouve le drame majeur du créateur : être (le réel indicible), face à émettre (le créé articulé, qui tend à être, aime-être) ; c'est dans les interstices entre les deux que se blottit ce que veut taire Wittgenstein, taire puisque ce n'est pas le mot, mais seule la musique, qui pourrait rendre le mystère de l'être lumineux, qui nous pousse à émettre des ombres.
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souffrance
Et la religion et la philosophie naissent dans le naufrage, dans la détresse de la vie, et elles ont le même but : contrer le néant, apporter un semblant de consolation (« la tâche de la philosophie est d'inventer le mot qui sauve »** - Wittgenstein - « die Aufgabe der Philosophie ist, das erlösende Wort zu finden ») - et les mêmes moyens que la poésie - créer une tempête dans un verre d'eau, imaginer un message à destination lointaine et chercher fébrilement une bouteille : « Le poème est une bouteille jetée à la mer, abandonnée à la foi chancelante qu'elle échoue quelque part sur une terre d'âme » - Celan - « Ein Gedicht ist eine Flaschenpost, aufgegeben in dem nicht immer hoffnungsstarken Glauben, irgendwo an Land gespült zu werden, an Herzland vielleicht ».
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souffrance
Quelle consolation j'attends d'un discours philosophique ? Celle de vérités et de certitudes, qui m'enracineraient davantage dans la profondeur de la vie ? Ou celle d'images et de rêves, qui m'arracheraient de la terre et me laisseraient en vue du haut ciel ? En réponse à Wittgenstein, qui ne trouve pas beaucoup de consolation chez Nietzsche.
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souffrance
Pour Tolstoï et Wittgenstein, la connaissance de soi se réduit à l'humilité. Une attitude qui serait justifiée par la souffrance d'autrui ou de soi-même. L'enthousiasme et la honte y seraient mieux à cette place, puisque cette connaissance devrait aboutir à la reconnaissance de deux mystères : du soi inconnu, inspirateur de nos meilleures images, et du bien inné, intraduisible en gestes.
acquiescement,action,bien,enthousiasme,honte,inconnu,mystère,soi

vérité
Exposer « la vérité de sa nature » (Juvénal, St-Augustin, Abélard, Rousseau, Wittgenstein), ou s'inventer dans des convulsions de la honte (Dostoïevsky, Kafka, Cioran) - les seconds me convainquent davantage de leur authenticité (подлинный-authentique, en russe, ne signifie-t-il pas arraché sous la torture ! Et toute confession digne de notre intérêt devrait s'appeler Historia calamitatum).
auteur,authenticité,création,honte,nature,russie,souffrance

vérité
Si je ne m'intéresse qu'à la vérité, c'est à dire – aux solutions, je ne ferai que de la science. Mais si mon intérêt va jusqu'aux problèmes, c'est à dire au langage, ou, mieux, si je suis chatouillé par le goût des mystères, c'est à dire par la beauté symbolique, je tenterai de me vouer à la poésie ou à la philosophie. Les solutions sont possibles grâce aux systèmes, mais Wittgenstein : « Les systèmes sont exactement ce, sur quoi on ne peut pas parler » - « Die Systeme sind gerade das, wovon man nicht reden kann » - est complètement à côté de la plaque, puisque, au-dessus des systèmes, se bâtit le pouvoir philosophique et le discours poétique. Et l'on est obligé de se taire, si l'on ne maîtrise ni la philosophie ni la poésie.
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vérité
Bolzano, Husserl, Wittgenstein font grand cas de la proposition : Smith traça un heptagone constructible (comme B.Russell - de celle-ci : Le roi actuel de France est chauve), en y invoquant le sens ou l'absurdité, tandis que la chose est d'une navrante banalité : la proposition s'évalue à faux, et l'abduction en donne la raison : la référence d'objet heptagone constructible n'aboutit à aucun objet, rendant sans objet le reste de l'interprétation (où, à la place de Smith, on aurait pu mettre un ange ou un triangle rond, et à la place de traça - avala ou admira). Plus intéressant serait de se pencher sur des propositions vraies : Smith ne voyagea jamais avec un heptagone constructible ou Aucun roi actuel de France n'est chauve (comme, chez Kojève : √2 n'a pas de muscles).
absurde,concept,interprétation,ironie,négation

vérité
Le succès d'une requête contient une vérité, dans le langage courant ; le succès d'un énoncé impératif n'est ni vrai ni faux (Wittgenstein), il annonce la naissance d'un nouveau langage.
commencement,langue,question

vérité
Quel piètre cogniticien s'avère être Wittgenstein, en s'imaginant, que le travail de l'intellect se réduise à la description de modèles et de faits (Sachverhalte). Tandis que les idées, comparées aux faits, sont d'autant plus nombreuses, que le vrai par rapport au démontrable. Et prendre les idées pour faits, c'est du platonisme naïf.
discursif,esprit,idée,intelligence,réalité,représentation,simplicité

vérité
Il semblerait (Freud) que, dans l'inconscient, il n'y ait pas de négation ; serait-il le désir n'atteignant pas la volonté ? Que garde-t-il de la logique ? - les connecteurs ? les implications ? - puisque la volonté commence par eux. Ce qui est amusant, c'est que, machinalement, on associe l'inconscient avec le travail de sape du diable, or, d'après de bons logiciens (Wittgenstein), la négation serait l'enfer (et l'identité - le diable en personne ! ).
élan,négation,raison

vérité
Le langage, c'est une langue, attachée à une représentation, plus un interprète logique des propositions. Tant d'hommes, tant de langages : les différences des cultures langagières, conceptuelles, scientifiques font de chaque homme une source de vérités, puisque toute vérité surgit des propositions, toute vérité est relative au langage du requêteur. Les vérités absolues n'existent pas, bien que le consensus grandissant dans les représentations élargisse le corpus de vérités communes. Donc, c'est bien Protagoras qui a raison contre Aristote (qui ne voit ni la langue ni la représentation) et Wittgenstein (qui ne voit pas la représentation).
hommes,interprétation,langue,question,représentation,science

vérité
Dans les réflexions sur le sens et la vérité, les pires des bavards sont ceux qui ne maîtrisent pas la logique (de Hegel à Heidegger) ; mais les logiciens, qui ne maîtrisent ni le langage ni la représentation (de B.Russell à Wittgenstein), sont étrangement aussi bêtes.
intelligence,langue,maîtrise,représentation,science
Wittgenstein L.