Montaigne M.
 

préface
Le français n'étant que mon faux ami, un outil d'emprunt, tant d'écorchures de métèque seront visibles sur les mots habitués au polissage d'autochtones ! Mais la tentation est si grande d'épeler ma musique dans la langue de Montaigne, La Rochefoucauld, Chamfort, Joubert, Valéry. Je ne suis pas dupe, l'aphorisme, genre autrefois aristocratique, n'attire aujourd'hui que des plébéiens, prêtant plus d'attention à l'actualité qu'à ce qui échappe aux actes des hommes. Ce livre est un ennemi de la gazette. Je n'ai aucune envie d'étaler ma biographie en en mettant en relief des recoins rugueux et exotiques. La seule curiosité que j'accueillerais volontiers serait celle pour mon ton, non pour mes raisons. Mes expériences - le langage mathématique, la mathématique du langage, l'art intellectuel, l'intelligence artificielle, la plume qui me trahit, l'ordinateur qui me ressemble - n'apportèrent rien au choix de mes vocables. Que j'aie connu les pires misères, subi les pires humiliations au pays marqué par la grandeur du malheur - tout s'efface devant le bonheur de sentir le souffle d'une vie inaboutie animer un livre achevé.
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préface
Héraclite me soufflait : « Voilà quelqu’un qui, en se plongeant dans mon flux, ne pense qu’aux entrées et méprise la nage et la navigation ».
St-Augustin comprit ce que veut ma maîtrise : « Son esprit commande que son âme veuille » - « Imperat animus suus, ut velit anima sua ».
Montaigne fut mon bon lecteur : « En voulant se transformer en bête, il se transforma en ange ».
Pascal saisit le jeu de mes fibres : « Son intelligence sait céder au sentiment ».
Ma recherche de consolations fut bien résumée par Voltaire : « Dans le rêve il trouve son bonheur, en échappant à la réalité ».
Mon ami Nietzsche vit bien la place de mes trésors : « Au commencement il sera ce qu’il est » - « Er ist am Anfang, was er ist ».
Et pour apprécier mon chant de la faiblesse, il faut être Heidegger : « Le Bien n'est pas pour tout le monde, mais seulement pour les faibles » - « Das Gute ist nicht für jedermann, sondern nur für die Schwachen ».
Le regard de ma compagne, M.Tsvétaeva, me suivit dans les éléments opposés : « Il est Phénix ou Narcisse : il chante dans le feu et s’admire dans l’eau » - « Птица-Феникс он, в огне поёт, в воде в себя влюбляется ».
Cioran m'écrivit : « Comment se hasarder encore à une œuvre en partant de l'âme ? Et puis, il y a le ton. Le vôtre - j'en ai peur - sera du genre noble, entaché de mesure et d'élégance ». Curieusement, votre voisin d'en face, de l'autre côté de la rue de l'Odéon, me mettait en garde dans les mêmes termes. Mais les deux furent généreux avec moi ; celui-ci – en introduisant fraternellement ce livre, celui-là – en me laissant de la place, où je peux défier ses appréhensions, en dédiant, à titre posthume, mes soubresauts aux plus défaites des « hautes turpitudes ».
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action
Au lieu de narrer la prose du monde, chanter sa poésie. Se désintéresser de la marche, viser la danse ; avoir besoin de scène et non pas de chemins. Ceux-ci finissent toujours par devenir sentiers battus, même si ta marche est la création même de ton propre chemin. « La route se construit en marchant » - Machado - « Se hace camino al andar » (Sénèque aurait dit la même chose : « Viam supervadet vadens », et Montaigne s’inspirait de ce vers virgilien : « C’est en marchant qu’on gagne en force » - « Viresque acquierit eundo »). Don Quichotte, ne disait-il pas, que « le chemin est plus précieux que l'auberge » - « el camino es más importante que la posada » ? Appliqué à la création, l'adage reste souvent le même : l'œuvre, c'est le chemin.
chemin,création,espagne,force

action
Ce n’est pas toi qui es maître des circonstances, routinières ou aléatoires, qui constitue ton existence ; tu en es, le plus souvent, esclave. « Nous guidons les affaires en leurs commencements, mais par après, ce sont elles qui nous guident »** - Montaigne. Vivre surtout des commencements est un privilège des créateurs.
commencement,être,maîtrise

action
Les actes et les réflexions, toujours communs, toujours reproductibles, constituent une vie ; et le mystère, toujours personnel, ne surgit que des rêves. C’est sous cet angle que je comprends le surprenant Montaigne : « Les plus belles vies sont à mon gré celles qui se rangent au modèle commun, sans merveille ».
hommes,idée,mouton,mystère,rêve,vie

amour
L'amour, comme la vie, comprend la partie banale du pourquoi du bon et la partie créatrice du comment du beau. La sagesse consiste à aimer la rose sans pourquoi (Angélus), tout en vivant les épines domestiques (Montaigne) sans comment. Réduire la vie ou l'amour – à l'art.
art,beauté,bien,création,vie

amour
On reconnaît trois tons distincts dans la littérature : de ceux qui ne sont pas aimés, de ceux qui le sont, de ceux qui s'en fichent. Ceux-ci : Dostoïevsky, Flaubert, Valéry. Les deuxièmes : Montaigne, Tolstoï, Rilke. Les premiers : Pascal, Nietzsche, Cioran.
art,goût

pétrarque
Chi può dir cosi egli arde é in piccol fuoco.

Celui qui peut dire de quel feu il brûle, ne brûle que d'un petit feu.
amour
Montaigne : « Toutes passions qui se laissent gouster et digerer ne sont que mediocres » et Shakespeare : « L'amour qu'on peut compter ne vaut plus rien »* - « There is beggary in the love that can be reckoned » - t'ont plagié. J'aime, tant que j'ignore et le souffle et l'aliment, qui entretiennent mon feu. À la source pure, c'est à dire sans fond, - le feu sans tache.
ange,balance,éléments,intensité,raison,valoir

art
Nous avons deux types de cordes : pour produire notre propre harmonie ou pour réagir, en écho, aux mélodies des autres. Les premières se logent plus près des yeux, les secondes - de l'oreille. On ne peut devenir artiste que si l'on sait s'ausculter. Si l'on sait transformer un regard en un son. Si l'on est auteur : « Tout fourmille de commentaires ; d'auteurs, il en est grand'cherté » - Montaigne.
création,filtre,musique,ouïe,ordre,regard

art
Tant d'écrivains, dont le seul intérêt est de fournir à un autre une occasion pour écrire une phrase. Ce livre en fournit d'innombrables exemples. « Je ne fais parler les autres que pour mieux m'exprimer moi-même » - Montaigne.
ironie,maxime,mot,soi,style

art
Pour ce fichu genre qu'est le roman, le seul remède contre l'ennui serait une langue de Céline, Bloy ou P.Morand. Mais, apparemment, pour la pratiquer avec succès, il faut impérativement « s'abêtir » (Montaigne).
discursif,ennui,intelligence,mot

art
On écrit sous l'impulsion de la logique ou de la musique ; il faut être méfiant du premier courant et essayer de suivre fidèlement le second ; mais les deux se concilient, comme la contrainte se concilie avec le but. « Nostre vie est partie en folie, partie en prudence. Qui n'escrit que regulierement, il en laisse en arriere plus de la moitié » - Montaigne.
contrainte,folie,musique,raison

art
Dans un portrait, certains yeux n'aperçoivent que des périmètres ou surfaces ; il faut avoir un certain regard pour reconstruire un paysage ou sentir un climat. Qui fait mieux que Montaigne, qui, tout en citant des paysages des autres, ne fait que peindre son propre climat ! Pascal : « Le sot projet que Montaigne a eu de se peindre » - ne le comprit pas.
balance,climat,regard,soi

bien
Le Bien n'est jamais dans les buts, ceux-ci sont toujours louables. Il l'est encore moins dans les intentions, celles-ci sont toujours hypocrites. Il est dans la nature des contraintes, que je n'ai même pas besoin de résoudre, pour les accepter. « La grandeur de l'ame n'est pas tant tirer à mont, et tirer avant, comme sçavoir se circonscrire »** - Montaigne.
âme,contrainte,grandeur

bien
Ni Socrate ni St-Augustin ni Montaigne ni Rousseau ni Kant ni Tolstoï ne brillent par des actions, qui découleraient de leurs idées. On ne doit pas juger les hommes d'après leurs pensées, et encore moins d'après leurs actes, mais d'après leur talent de rendre un fond de bonté - par une forme de beauté !
action,balance,beauté,hommes,idée,style

montaigne m.
Le plus cher est ce qui est donné.
bien
Le gratuit est sans prix, mais non sans poids ; il peut écraser nos vecteurs jusqu'à la platitude reconnaissante. Ce qui est cher en prix d'échange est rarement cher en valeur des anges. Et les valeurs ailées, on les donne surtout aux choses inexistantes.
ange,axe,balance,inconnu,platitude,sacrifice

montaigne m.
À celui qui n'a pas acquis la science du Bien, toutes les autres sciences sont nuisibles.
bien
C'est la gratuité de cette science qui en détourne les hommes, qui ne vivent que de transactions. Celui qui aurait pu n'être qu'écureuil, se mute en charognard.
balance,hommes,maîtrise,science,utilité

montaigne m.
Nous ne sommes pas si misérables comme nous sommes vils.
bien
Aujourd'hui, l'homme ne se sent ni misérable ni vil ; il n'a plus rien à apprendre dans tes leçons de honte. L'homme à conscience tranquille ne peut qu'être vil. « Il eut la conscience pure. Jamais utilisée » - S.Lec.
angoisse,bassesse,conscience,honte,misère,musique,révolte,souffrance

cité
La confrérie des intellos européens ne suscite pas plus d'inquiétude que le syndicat d'épiciers (le charlatanesque Nolain, auréolé de quatre excommunications, le rocambolesque Th.More, béatifié et par le Vatican et par le Kremlin, sont jalousés pour leurs nimbes, qu'on refuse au conformisme montanien). Il faut admettre que ce sont bien les meilleurs qui régentent la Cité - un très fâcheux constat pour un fustigeur de métier ou de tempérament. Ceux qui vivent du ressentiment de nains sont rarement capables d'un acquiescement de géants.
angoisse,audace,europe,grandeur,ironie,négation,révolte

cité
La bonne raison, beaucoup plus que l'échine, fléchit aujourd'hui, chez l'esclave moderne, qui se croit le plus libre ; le tableau de Montaigne : « Ma raison n'est pas duite à se courber, ce sont mes genoux » - s'inversa.
liberté,mouton,raison,voix

cité
L'effet désastreux d'une liberté acquise : on succombe à une léthargique paix d'âme. Et ce n'est pas par hasard qu'on les mette souvent ensemble, soit en repus : « Je consacre mes retraites à ma liberté, à ma tranquillité » - Montaigne, soit en plaisantin : « Le repos et la liberté, les rois ne les donnent point, ou plutôt qu'ils ôtent » - Voltaire, soit en dépité, amoureux ou vaniteux : « Ici-bas, nulle trace d'un autre bonheur, que la tranquillité et la liberté » - Pouchkine - « На свете счастья нет, но есть покой и воля ». Dommage, puisqu'on sait bien, que ce sont les esclaves de deux maîtres, d'Apollon et de Dionysos, qui réussissent le mieux les nobles tâches de beauté et d'intranquillité.
angoisse,beauté,bonheur,élan,liberté,noblesse

doute
Le vrai savoir sert à affiner la qualité et l'épaisseur du doute, seuls ses aristocrates (Cioran ?) en font leur pierre de touche. Une bonne pierre d'achoppement convient mieux pour façonner le doute qu'un « mol oreiller » (Montaigne).
action,élite,noblesse,savoir

doute
L'ordre, c'est l'idée du monde, le désordre, c'est le monde des idées, la « branloire pérenne » (Montaigne). La vie est un équilibre précaire entre ces deux univers, équilibre rompu tantôt par le savoir synchrone, le système, tantôt par le savoir diachronique, l'ironie.
école,idée,ironie,ordre,savoir,système,vie

doute
La plus précieuse sagesse de la vie : savoir de quelle illusion il faut se débarrasser et à laquelle - s'accrocher. Fractions futiles et fictions utiles (« fictions légitimes » - Montaigne).
philosophie,rêve,utilité,vie

doute
L'esprit reste en contact avec la profondeur et l'âme – avec la hauteur, puisque celui-là a des pieds et celle-ci – des ailes. L'indécision provient, le plus souvent, de l'âme. « Si mon âme pouvait prendre pied, je n'essaierais pas, je me résoudrais » - Montaigne.
action,âme,esprit,hauteur

doute
Les yeux sont un organe de l'esprit, et le regard – celui de l'âme ; l'âme, c'est l'esprit, visité par une grâce. « Tout ce que nous voyons sans la lampe de Sa grâce, ce n'est que vanité » - Montaigne - donc, apprécions Son voir plus que le savoir.
âme,dieu,esprit,grâce,regard

doute
Du cycle l'admiration - l'inquisition - l'ignorance (Montaigne) faire une simultanéité, tel est le but de l'éternel retour.
retour,savoir,temps

doute
Être un Ouvert : vivre de l'élan vers la limite ; vivre à la limite ou vivre aux points déterminés, tendant vers la limite, sont deux attitudes des Fermés. Et je comprends Valéry, sceptique avec les seconds (Montaigne ou Pascal) et enthousiaste avec les premiers (Descartes ou Nietzsche).
amour,élan,frontière,ouvert

doute
Les empreintes de tous mes sens doivent se projeter sur un fond perceptif commun ; je l'appelai regard, mais il aurait pu être une généralisation du goût, du flair, de la caresse, de l'intelligence (et même du droit, pour faire de moi un magistrat sans juridiction - Montaigne) ; le bien en détermine l'ampleur, et le talent en dessine la verticalité - le vrai du savoir profond et le beau du haut sentir.
beauté,bien,esprit,hauteur,intelligence,regard,savoir,vérité

doute
Dans mon livre, le fond, le sens, le volume viennent de mon soi connu ; la forme, la musique, la noblesse – de mon soi inconnu. Plus je m'identifie avec le second, plus j'aurai le droit de parler d'un livre consubstantiel avec son autheur (Montaigne) ; sinon, il ne serait qu'accidentel.
auteur,authenticité,création,inconnu,musique,noblesse,soi,style

doute
Les choses, que j'invoque, sont un moyen pour atteindre trois buts bien différents : en mesurant les choses, prouver la qualité de ma vue ; en les évitant, montrer la noblesse de mes contraintes ; en les combinant, produire de ma musique. « Ce que j'en opine, c'est aussi pour déclarer la mesure de ma veuë, non la mesure des choses »** - Montaigne. Et l'ironie voudra que, dans mon livre, on mesurera les choses de vue au lieu de voir les choses de mesure.
balance,contrainte,élite,ironie,noblesse,regard

doute
La grandeur littéraire peut se mesurer par sa résistance à la relecture : la grandeur de Nietzsche, Tsvétaeva, Pasternak ne subit aucune fêlure, quel que soit le nombre de mes abordages. Montaigne, Dostoïevsky, Valéry perdent une partie de leur aura à chaque nouveau passage. Ceux qui dégringolent dès la deuxième lecture : Goethe, Pascal, Cioran.
art,auteur,grandeur,temps

doute
Je fuis le Dit et le Fait, je poursuis le Dire et le Faire. Les premiers sont trop près des solutions, pour les mélanger aux mystères des seconds. « Je sais bien ce que fuis et non pas ce que cherche »* - Montaigne.
action,auteur,commencement,contrainte,style

doute
L’écoute de mon essence, c’est-à-dire de mon soi inconnu, permet de reconstituer l’arbre de mon existence - le parcours de mon soi connu - de la graine à la souche - et de pouvoir « me considérer comme un arbre »* - Montaigne - et me peindre !
arbre,auteur,chemin,être,inconnu,soi

doute
Le savoir, assurant tes performances (à défaut des compétences) devint si commun, que les différences avec les esprits des autres cessèrent d’être capitales. En revanche, le gouffre entre tes soi connu et soi inconnu reste aussi infranchissable. « Il se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes, que de nous à autrui » - Montaigne. Ici, c'est le géomètre qui mesure les distances, en unités d'empathie (Einfühlung) ; là-bas - l'ignorant que nous n'avouons pas être, devant autrui, pour préserver notre narcissisme ou notre sympathie pour notre soi inconnu.
balance,esprit,inconnu,proximité,savoir,soi,voix

doute
L’anthropomorphisme vrillé dans notre conscience, nous ne pouvons pas imaginer comment un esprit extra-terrestre jugerait le prodige de la vie sur Terre. Plongé, en permanence, au milieu du vivant miraculeux, l’homme est bassement soumis à l’habitude qui en ôte l’étrangeté (Montaigne).
hommes,mystère,vie

montaigne m.
Je ne serais pas si hardi à parler, s'il m'appartenait d'en être cru.
doute
S'il t'appartenait d'être cru, tu ne trouverais pas de mots justes. Croire en l'homme, en ironisant sur ses mots. L'homme est une majorité silencieuse dans l'assemblée de ses images.
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hommes
Les contemporains de Montaigne, de Pascal, de Voltaire, de Hugo, de Valéry se lamentaient, exactement comme les nôtres, sur la dissolution des sens, l'effondrement des principes, la déchéance des hommes, la désintégration de l'humanité. La seule différence notable est que nous sommes contemporains des houellebecq. Ceux-là furent héritiers d'une grande culture, et ils concevaient leurs propres commencements ; ceux-ci sont porte-parole accumulatifs d'une inculture moutonnière ou robotique.
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hommes
La barbarie d'aujourd'hui est due à la mort du rêve. Plus précisément, à son handicap mental, dès sa prime enfance. Le discrédit du conte de fées, le merveilleux étouffé par le mielleux, le jeu électronique expulsant le jouet anachronique. Les lieux, qui ont le plus besoin de rebelles aujourd'hui, sont les crèches, et leurs noms sont Andersen et Ch.Perrault. Shakespeare, Pouchkine et Montaigne en savaient quelque chose : « Notre principal gouvernement est entre les mains des nourrices ».
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hommes
Aucune parenté avec la France de Molière, Marivaux, Guitry, Sollers ne m'est pensable ; des sentiments filiaux et presque tribaux pour la France de Montaigne, Voltaire, Valéry, R.Debray. Je sais que c'est la première France qui domine, et a toujours dominé, dans les … cœurs des Français, et la seconde - seulement dans leurs têtes.
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hommes
Les intellectuels français – Montaigne, J.Joubert, Valéry – ennemis de la gazette. Sur la scène publique, ils furent évincés par les journalistes – guetteurs des faits divers – depuis les affaires de Callas ou Dreyfus jusqu’aux gilets jaunes. À la charnière entre ces tribus inconciliables se trouvait Voltaire – l’ironie des premiers et le faux pathos des seconds.
esprit,france,goût,ironie,modernité,mouton

intelligence
Toute tentative de philosopher, quels que soient tes dons de plume, est et ne peut être que de la poésie (« de la poésie sophistiquée » - Montaigne). « La philosophie devient poésie, sous l'enthousiasme d'un génie »** - Disraeli - « Philosophy becomes poetry, in the enthusiasm of genius » - elle l'est même sans enthousiasme ni génie ; c'est la poésie qui devient philosophie, dans l'abattement du verbe. « La poésie sera de la raison chantée » - Lamartine.
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intelligence
Un savoir bien digéré ne produit que de viriles, ironiques et hautes métaphores. « Il ne faut pas attacher le sçavoir à l'âme, il l'y faut incorporer » - Montaigne. Baudelaire aurait pu être un Nietzsche français (tandis que Proust n'en avait aucune chance, n'ayant ni le talent ni la noblesse ni le savoir), si ses boutades étaient rehaussées d'un peu plus d'ironie distante ; celui-ci choisit le bien du Crucifié pour contrainte négative, tandis que celui-là se ridiculisa avec le beau à nier. Le français pousserait à prendre parti, ce qui expliquerait l'échec des tentations nietzschéennes de Valéry.
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intelligence
L'être est ce qui préside aux mystères de la naissance et de la mort, mais on le perçoit, définit et juge dans la Caverne du devenir (ou du dévoilement, auquel se réduirait toute vérité) : « Nous n'avons pas de communication à l'être, parce que toute humaine nature est toujours au milieu entre le naître et le mourir » - Montaigne.
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intelligence
C'est à partir de la capacité de mes mots ou de mes notes d'envelopper un devenir fugace, qu'on pourra développer la musique de l'être éternel : « Je ne peins pas l'estre, je peins le passage »** - Montaigne.
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intelligence
En philosophie, le soi apparaît avec Montaigne et culmine avec Nietzsche. Dans les écrits des impersonnels, le soi et les autres ont les mêmes attributs ; la même profondeur ou la même platitude leur étant réservée. Mais la peinture de soi est la preuve de la hauteur : « Sur soi on écrit à la hauteur, à laquelle on est » - Wittgenstein - « Über sich schreibt man, so hoch man ist ».
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intelligence
L'Histoire de la philosophie s'écrit selon le lieu de ses exercices : la hauteur du Bien, du Beau ou du Vrai (d'Héraclite à Montaigne) ; la platitude du méthodique ou du naturel (de Descartes à Leibniz) ; la profondeur des limites humaines (de Kant à Marx) ; la hauteur de notre regard et de notre souffle (Nietzsche). Sachant que toute profondeur finit par affleurer à la platitude, il faut saluer tout retour à la hauteur, même au prix du trépas de son Habitant d'antan.
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intelligence
L'invention face à la reproduction, le sacrifice d'un soi si insaisissable face à la fidélité à un soi bien déterminé, - dans cette opposition des poses philosophiques, la première l'emporte largement sur la seconde, en qualité et même en cohérence : il suffit d'imaginer Marc-Aurèle vanter les vertus de la force, ou Montaigne se lamenter sur la souffrance, ou Nietzsche faire l'apologie de la faiblesse, ou Tolstoï se vautrer dans l'érotisme, ou Cioran en appeler au rire ; en revanche, Spinoza, Schopenhauer ou Sartre sont dans leurs soi respectifs, ce qui les rend plus ternes. Je ne connus que deux cas, où l'écrivain et l'homme, tous les deux pleins de noblesse, vécussent main dans la main, regard sur le regard, talent du talent - R.Char et R.Debray.
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intelligence
Mon soi connu n’est pas une donnée fixe, dont j’essayerais de reproduire les contours ou le contenu ; en écrivant, je le crée ; il n’est ni préexistant ni difforme, comme il l’est pour Montaigne : « Je suis moi-même la matière première de mon livre ».
auteur,création,inconnu,matière,soi

intelligence
Dans les productions de l’âme, la mémoire ne sert à rien ; seule la tête, en gros commune à tous, en profite, pour consolider son métier et affaiblir son originalité. « J'aime mieux forger mon âme que la meubler » - Montaigne - et l’originalité en est le meilleur forgeron.
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montaigne m.
Mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine.
intelligence
Une tête bien faite est celle qui, pour atteindre un but, a besoin d'un minimum de mémoire et de recherches et d'un maximum de subtilité et de vitesse. Équilibre entre fin et frein, entre interprète et organisation. Toutes les têtes, aujourd'hui, sont pleines de vétilles, cohérentes et monolithiques, tandis que ce qui est digne d'y être préservé, ce sont quelques étincelles, images éparses, fragments de monuments. Garder quelques zones vides, pour y recevoir la musique du monde.
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montaigne m.
Il faut s'enquérir qui est mieux savant, non qui est plus savant.
intelligence
L'avantage équivoque de la verticale, face à l'horizontale. La vie des Terriens se moque des nues et des nappes et se fie aux surfaces.
hauteur,hommes,savoir

rimbaud a.
Je pense : on devrait dire on me pense. Tant pis pour le bois, qui se trouve violon.
intelligence
La seule pose, qui autorise de dire je suis, serait, donc, celle d'un traducteur ou d'un interprète, mais non de choses visibles ou de causes intelligibles, qui, toujours, se valent quoi qu'en pense Montaigne : «  ils laissent les choses et courent aux causes » ; quelle que soit leur cible, sans bonne pose, sans être ramenards, ils n'arriveront qu'aux positions ou postures grégaires.
création,être,interprétation,mouton,pose,raison,soi

cioran é.
L'esprit n'avance que s'il a la patience de tourner en rond, c'est-à-dire d'approfondir.
intelligence
La spirale est la forme exacte de cet approfondissement. Et l'éternel retour - la préférence de la hauteur permanente, où la clarté passagère est de la lâcheté. La pire des reculades est le choix du droit chemin. « La peste de l'homme, c'est l'opinion de sçavoir »** - Montaigne.
chemin,éternité,hauteur,retour,savoir

ironie
L'ironie est une fuite, une absence. En tant que telle elle fut à l'origine de la plupart des grandes littératures européennes modernes ; en Italie, avec Boccace, elle devint comique, en France, avec Montaigne, - abstraite, en Espagne, avec Cervantès, - chevaleresque, en Angleterre, avec Shakespeare, - charnelle, en Allemagne, avec Goethe, - romantique, en Russie, avec Pouchkine, - humanitaire. Curieusement, à l'opposé, les Romains n’eurent pas leur Socrate, et le glas de l'Antiquité sonna avec les ironiques Lucien et Juvénal.
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ironie
La plus vaste tour de France - la tour de Montaigne ; le plus haut cimetière - le Cimetière Marin de Valéry ; la fontaine la plus profonde - la Fontaine du Vaucluse de Pétrarque.
france,gloire,hauteur,soif

ironie
La tour de Hölderlin : trois vues temporelles, par trois fenêtres, - la source, la vie, la chute ; la tour de Montaigne : trois niveaux spatiaux - la vie, le rêve, la création ; la tour de V.Ivanov : trois castes – le bourgeois, l’aristocrate, l’artiste ; la tour de Rilke : trois hauteurs – la montagne, l’arbre, l’ivresse.
allemagne,arbre,création,france,hauteur,temps,vie

ironie
La fraternité contemplative offre l'âme ; les bras, les cerveaux ou les épaules sont affaire de la coopération active. « Le pygmée, juché sur les épaules des géants, voit plus loin que les géants eux-mêmes » - Lucain - « Pigmaei gigantum humeris impositi plusquam ipsi gigantes vident ». Mais le pygmée se réduira aux choses vues, tandis que le géant aura laissé son regard. Le géant crée la hauteur ; le pygmée a toutes ses chances en profondeur ; en hauteur, il « n'est monté que d'un grain sur les espaules du pénultime » - Montaigne.
fraternité,grandeur,hauteur,réalité,regard,utilité

ironie
Si ma langue est si souvent rompue, c'est peut-être que je tente trop lourdement de la ployer (Montaigne).
auteur,france,langue

ironie
Aimer le verbe plus que l'homme se justifie, le verbe expiant les péchés et chantant les vertus de l'homme ; le verbe est un mot, demeurant dans la hauteur et visant la profondeur, il en est l'équilibre ; l'homme, la plupart du temps, se vautre dans la platitude. « La vertu veult monter » - Montaigne - la réponse du cœur à la propension de l'esprit à se propager : « Que sçay-je ? ».
cœur,esprit,hauteur,mot,musique,platitude,question,sacrifice

ironie
La subtilité se mesure en nombre de couches d'ironie ou de paradoxes. Plus le fond est profond, plus le mérite est haut : « La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse » - Montaigne.
balance,folie,goût,hauteur,paradoxe,philosophie,simplicité,style

ironie
J.Joubert dit que, comme Montaigne il se sent impropre au discours continu. Nous en sommes, en réalité, tous capables ; seulement, certains sont horrifiés par un ennui, qui, inévitablement, s’en dégage, et d’autres s’en accommodent, en ne quittant des yeux que la majesté des nœuds et en restant insensibles à la misère des arêtes.
chemin,discursif,ennui,misère

ironie
Le vide est bienvenu à l’intérieur de moi-même ; je trouverais toujours de la bonne matière pour le combler. Mais le vide extérieur, pour un discours, adressé à mes semblables, à mes frères ou à mes adversaires, même au sein d’une solitude, ce vide, rempli par des citations des autres, fixe les limites, dessine un cadre et contribue à la clarté. « Je cite les autres pour mieux m'exprimer moi-même »*** - Montaigne.
auteur,doute,solitude,vide

ironie
Le XVI-me siècle, c’est la fête de l’ironie dans la littérature – Cervantès, Shakespeare, Montaigne et même Luther. Le siècle suivant, celui des dramaturges et des philosophes, étouffa cette vitalité ; et le phénomène Voltaire n’est qu’un chant du cygne de l’ironie agonisante. Notre époque vit sous le signe de la gravité, de la lourdeur, de la pédanterie. Rappelons-nous que les chutes de la Grèce et de Rome furent annoncées par leurs derniers ironistes, Lucien et Juvénal.
art,grèce,histoire,modernité,mort,philosophie

ironie
On n’a le droit d’insérer une citation que si l’on est capable d’en évaluer le poids. « Je ne compte pas mes emprunts, je les pèse ». - dit Montaigne. Souvent, je bâtis ma demeure sur des fondations, coulées et enterrées par les autres, et leur poids peut apporter de la solidité à ma construction, dont la viabilité n’est assurée que par moi-même, que ce soit des ruines ou des châteaux d’ivoire.
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mot
Je n'habite pas la maison du français, je la hante. Y avoir croisé beaucoup de fantômes contribua à ma vision de mon soi inconnu, que j'y convoque, aux heures astrales. Il n'y est jamais ni propriétaire ni locataire, mais sursitaire, que le premier rayon auroral chasse. Je ne sais pas qui, la langue ou le soi inconnu, détermine ou seulement colorie le style architectural de l'autre – forteresse ou ruines ? Chez les autochtones, ils se confondent : « Plus je me hante, moins je m'entends » - Montaigne.
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mot
Même dans le clan des amateurs de la citation je ne suis qu'un exilé. Qu'ai-je à partager avec ces juvéniles calculateurs ou ces séniles collectionneurs ? Le barbare repeupla la patrie dévastée de Plutarque, d'Érasme et de Montaigne.
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noblesse
Le dernier homme, ce n'est pas nécessairement le ressentiment en soi, ni même son objet, ni le non orgueilleux et bête jeté à la figure du monde, mais le manque d'intensité de son regard capable d'égaliser les non et oui, dans un acquiescement, à la fois fier et humble, une naïve et essentielle soumission montanienne. Surhomme : l'effort au service de la résignation, l'intensité comme dénominateur commun de toute fraction de la vie - l'homme du désir sachant museler l'homme du besoin. Contrairement à l'ultra-humain ou au trans-humain, perçus en perspective temporelle, le surhumain s'évade du temps, puisque le vrai humain est intemporel.
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noblesse
L'intensité que j'appelle de mes vœux, doit couronner l'union du lisible, de l'intelligible, du sensible : profondeur, hauteur, ampleur - beauté, noblesse, bonté. Montaigne, non sans raison, l'appelle volupté : « En la vertu même, le dernier but de notre visée, c'est la volupté »**, tout en réconciliant Épicure avec Zénon de Cittium, dans une perfection aristotélicienne.
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noblesse
L’esprit n’évolue que dans l’horizontalité de la raison et de l’action ; dès qu’il la quitte, pour se vouer à la verticalité, il devient âme, par une rupture et non pas par une marche. On ne va pas vers la hauteur on ne peut qu’y être ; c’est la différence entre le prix et la valeur : « Le prix de l’âme ne consiste pas à aller haut, mais ordonnément » - Montaigne.
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noblesse
La montagne de Nietzsche et le souterrain de Dostoïevsky sont des lieux solitaires, que fuient les habitués des forums : « Les opinions super-célestes et les mœurs souterraines, c’est folie : au lieu de se transformer en Anges, ils se transforment en bêtes » - Montaigne. L’ange, qui ne se serait jamais senti une bête, serait un ange bien bête.
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noblesse
Aujourd'hui, la variété et la souplesse, ces attributs des belles âmes (Montaigne), sont propres des amuseurs publics. Le bel esprit est l'homme d'une seule idée ; la belle âme est l'homme d'un seul sentiment. La noblesse est cette idée et ce sentiment.
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montaigne m.
C'est priser sa vie justement ce qu'elle est, de l'abandonner pour un songe.
noblesse
Car le songe la survole et la soulève, tandis qu'un regard droit y plonge et la réduit à ce qu'elle risque de devenir en pleine veille - un constat songeur. La vie de mon soi connu, la plus profonde, est ce que je fais et ce qu'elle fait de moi. La vie de mon soi inconnu, la plus haute, est ce que je parviens à ressentir comme mystère. Entre ces deux vies – la création, qui sous forme de solution fait entrevoir le fond de mystère.
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montaigne m.
Rien de noble ne se fait sans hasard.
noblesse
Comme l'ignoble suit de plus en plus des impératifs irréfutables. Je n'imprime de la noblesse à mes pas qu'en laissant le hasard divin m'inspirer le pas premier et en offrant au hasard d'une lecture la portée du dernier pas, qui dépasse ma vie, mon livre, ma foi. « L'art et le hasard s'exercent dans le même domaine : l'art aime le hasard, comme le hasard aime l'art » - Aristote.
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proximité
Soit je m'adresse à mes semblables, et ma voix devient humble et ferme, soit je n'ai qu'un seul destinataire, Dieu, et ma voix doit être tremblante et fière. Montaigne, qui ne s'adresse qu'à son entourage et ignore l'écoute divine, a, dans son audience, raison : « C'est faire le sot, que parler toujours bandé ».
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russie
La pensée s'inscrit, en Allemagne, dans une philosophie, en France - dans une littérature, en Angleterre - dans une politique, en Russie - dans la vie, ce réseau de riens. « En Allemagne on veut la pensée pour la méditer, en France - pour l'exprimer, en Angleterre - pour l'appliquer, en Russie - pour rien »*** - Tchaadaev. L'absence d'œuvres serait la définition même de la folie (Foucault, et l'œuvre de Pouchkine n'était pas encore venue te consoler comme Montaigne - le Tasse), folie dont un oukase te stigmatisa, pour que tu y rejoignisses, malgré toi-même, Swift, Nietzsche, Van Gogh, Artaud.
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russie
C'est en proie à un rêve fou que le Russe sent son vrai soi s'affirmer, et c'est dans la sobriété du quotidien qu'il se sent le plus perdu. Montaigne l'avait bien entrevu : « Ce sont toujours ténèbres cimmériennes. Nous veillons dormants, et veillants dormons »**.
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russie
L'écriture de Nietzsche fait penser à l'esprit français et au ton russe. Le style de Montaigne, Pascal ou Voltaire, le sujet y dominant le projet, et l'élégance de forme se moquant de la rigueur de fond. La véhémence et le conservatisme de Dostoïevsky, la pureté et la honte y étant inextricablement mêlées sur le même axe vertical. L'homme, ce soi connu, le soi du centre, le soi haïssable, il doit être surmonté par le surhomme, ce soi inconnu, le soi des commencements, le soi admirable.
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russie
La solitude, au milieu des hommes libres, est plus pénible à porter que l’obligation d’être cerné, en permanence, par des esclaves ; c’est ce que j’appris en Europe après la Russie. « Il est plus insupportable d'être toujours seul que de ne le pouvoir jamais être »* - Montaigne.
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solitude
Avec qui converses-tu en solitude ? Presque tous continuent à s’adresser aux hommes ; Cicéron, Montaigne ou nos professeurs de philosophie – aux livres. Je ne dialogue qu’avec mes états d’âme, pour lesquels les hommes et les livres ne sont que des thèmes aléatoires, de la matière première.
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montaigne m.
Forger son âme et non pas peupler.
solitude
On peuple le vide, on le plénifie. Le trop plein, on le façonne.
âme,style,vide

montaigne m.
Ce n'est plus ce qu'il faut chercher, que le monde parle de vous, mais que vous parliez à vous-même.
solitude
Le factice du langage, qu'on tient aux autres, est si flagrant, que se parler, à soi-même, dans le même idiome, c'est parler une langue étrangère.
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montaigne m.
Il y a moyen de faillir en solitude comme en compagnie.
solitude
L'indétermination de but, dans la solitude, neutralise tous les moyens. Le raté du désert garde ses mirages, le raté des foires perd jusqu'au sens des saisons.
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montaigne m.
Il faut se prêter à autrui et se donner à soi.
solitude
Moins je donne, plus j'ai de dettes.
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nietzsche f.
Der Eine geht zum Nächsten, weil er sich sucht, und der Andre, weil er sich verlieren möchte.

Les uns vont vers le Prochain, parce qu'ils se cherchent. D'autres - parce qu'ils veulent se perdre.
solitude
Dans les deux cas, ils tombent sur eux-mêmes, attendu que me perdre, c'est revenir à moi et « je ne me trouve pas où je me cherche : et me trouve plus par rencontre que par l'inquisition de mon jugement » - Montaigne.
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souffrance
Le vrai espoir est hors du temps : c'est une foi en un sens ou en une beauté, plus grands et plus hauts que ce qu'en disent nos sens ou notre esprit, et que notre âme accueille. Non pas l'attente du possible, mais l'entente avec l'impossible. « C'est un grand ouvrier de miracles que l'esprit humain » - Montaigne.
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souffrance
Quand je suis ouvert, au même degré, à la honte et à l'ironie, je réconcilie facilement le regard sur le chagrin comme sentiment valorisant, impavide et haut et le point de vue de Montaigne : « La tristesse est nuisible, couarde et basse ».
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souffrance
Ne pas fermer mes parenthèses, et en ouvrant ma bouche, devant une poignée de pages blanches, faire sentir, que ce qui va la fermer est une poignée de terre noire, jetée par une Antigone compréhensive. « Pour s'apprivoiser à la mort, il n'y a que de s'en avoisiner » - Montaigne. Le bon verbe est tumulaire et doit descendre au tombeau. Avec cette épitaphe : « On m'enterra vivant », puisqu'il se sentira Eurydice. On n'écouta pas la dernière supplique de Tsvétaeva : « Ne m'enterrez pas vivante ! » (« Не похороните живой ! »).
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souffrance
La modestie croissante de ceux qui souffrent et ironisent : Essais de Montaigne, Pensées de Pascal, Remarques de Lichtenberg, Déracinement de Chestov, Aveux de Cioran. La constante arrogance de ceux d'en face : Méthode de Descartes, Critique de Kant, Mots de Sartre ou Foucault. Deux exceptions, dans les deux camps : Nietzsche et Goethe.
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montaigne m.
L'homme possède ses biens par fantaisie, les maux - en essence.
souffrance
Le nouveau-né, tourné vers son intérieur, sanglote spontanément ; pour le faire rire, on a besoin d'astuces extérieures. L'agonisant se force à rire, mais geint de bon cœur. Entre ces deux saisons, le bonheur est à court de clefs rieuses, et le malheur est expert en serrures pleureuses. L'artiste ne veut pas imiter la vie ; il se concentre sur la nature tragique, avec des moyens d'une culture ludique.
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vérité
Dans les labyrinthes de l'écriture, plus on est sot, plus on s'imagine chercheur de vérités ; tandis que les horizons, avec des prix affichés, n'y comptent guère, et c'est le firmament du talent qui en détermine la valeur. « Autant peut faire le sot, celuy qui dit vray, que celuy qui dit faux : car nous sommes sur la maniere, non sur la matiere du dire »* - Montaigne.
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vérité
L'exemple d'une mauvaise négation sémantique : « Qui suit un autre, il ne suit rien » - Montaigne. Au lieu de nier suivre, tu nies l'autre, ce qui est bête. C'est la fixité du regard et non pas la bougeotte des pieds, qui attrape les meilleures cibles. Le sot, persuadé de se connaître, se suit fidèlement soi-même et se retrouve en étable.
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montaigne m.
Ils aiment mieux estre chef d'une troupe errante, que d'estre discyple en eschole de vérité.
vérité
Ils ont raison : la vérité ne s'inocule pas, et l'errance te mettra en contact avec la vérité plus sûrement que l'assiduité entre quatre murs, même impénétrables au mensonge.
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Montaigne M.